TRANSPOSITION À LA FPT DE LA RÉFORME DE L’ENCADREMENT SUPÉRIEUR : DES AVANCÉES À SALUER MAIS À RENDRE EFFECTIVES
Décidée par le Président de la République en 2021 et entrée en vigueur en 2023, la réforme de la haute fonction publique d’État accompagnait la suppression annoncée des grands corps. Alors que sa transposition aux deux autres versants était souhaitée et notamment soutenue par la Coordination des employeurs territoriaux (CET), c’est au terme d’un processus de près de deux ans, et après avoir fait face à des vents contraires, que se dessine aujourd’hui concrètement sa mise en œuvre dans la fonction publique territoriale (FPT).

Une transposition évoquée dès 2022 et souhaitée par les employeurs territoriaux
Annoncée par le chef de l’État en 2021 en vue, en premier lieu, de l’extinction des grands corps de la haute fonction publique, la réforme de l’encadrement supérieur, parfois baptisée « réforme de la haute fonction publique » est entrée en vigueur, pour l’État uniquement, au 1er janvier 2023.
Concernant les emplois administratifs et non ceux des corps techniques, elle s’appuie sur plusieurs composantes, selon une économie d’ensemble :
- une grille indiciaire unique et de plus grande amplitude des administrateurs de l’État et la suppression des « doubles-carrières » ;
- un déroulement des carrières selon trois grades (comportant chacun une trentaine d’échelons) et dont le dernier présente une forte sélectivité et dont l’accès est soumis à l’occupation des emplois les plus élevés, sous le contrôle d’un comité de sélection. A ces trois grades s’ajoute un grade dit « transitoire» visant à accueillir les fonctionnaires issus des grands corps. La qualification de ce grade est en réalité impropre car, sauf à accéder au 3ème grade dans les conditions prévues, la grande majorité des fonctionnaires qui sont classés dans ce grade effectueront la totalité de leur carrière dans celui-ci ;
- un relèvement sensible des plafonds de régime indemnitaire (RIFSEEP) et la suppression des autres composantes de rémunération ;
- la mise en place d’une classification en quatre niveaux des emplois fonctionnels (le niveau 1 étant le plus élevé), à chaque niveau correspondant un plafond de régime indemnitaire et un rythme de cadencement des avancements d’échelons, les 3 niveaux les plus élevés faisant l’objet d’une accélération, contrairement au niveau 4.
Dès octobre 2022, Stanislas Guerini, alors ministre en charge de la fonction publique, avait évoqué explicitement l’hypothèse d’une transposition à la FPT de cette réforme auprès de la Coordination des employeurs territoriaux (CET), dont fait partie France urbaine. Cette dernière avait fait part de son soutien à l’engagement de ce chantier dès lors que la transposition pouvait contribuer à reconnaître les responsabilités de celles et ceux qui occupent des emplois supérieurs et à diversifier les parcours professionnels, le tout au profit de la capacité des exécutifs locaux à pouvoir ainsi mobiliser les compétences nécessaires à l’occupation des emplois d’encadrement supérieur.
Alors que, fin 2023, le dossier donnait lieu à d’importantes frictions entre le Gouvernement et certaines organisations, les employeurs territoriaux ont jugé utile de prendre la plume pour manifester de la façon la plus claire leurs intentions et préserver la perspective d’une transposition. Ainsi, dans un courrier du 7 décembre 2023, la CET indiquait notamment que « la poursuite des objectifs de cette réforme appelle une transposition totale, sans restriction, à la fonction publique territoriale des grilles introduites dans la fonction publique d’Etat ». Et d’ajouter que « rien ne saurait justifier, à l’heure où l’organisation de la République est décentralisée et à la lumière des responsabilités aujourd’hui assumées par les collectivités territoriales, qu’une transposition partielle soit proposée. »
La nécessaire recherche d’un équilibre entre homologie et spécificités des emplois fonctionnels dans les collectivités
C’est donc en vue d’une transposition de la réforme sur un périmètre analogue à celui retenu à l’État – en l’occurrence, le cadre d’emplois des administrateurs territoriaux et les emplois fonctionnels dans les collectivités de plus de 40 000 habitants – que se sont engagés les travaux.
À la lumière des premières copies proposées par le Gouvernement et les administrations centrales, il est apparu nécessaire de trouver un équilibre entre l’application d’une homologie entre les emplois de direction de la FPE et ceux de la FPT, pour tenir compte des spécificités de ces derniers.
En effet, au-delà de l’exercice de comparabilité des responsabilités entre versants dont la difficulté est rapidement apparue, c’est la suppression annoncée de la double carrière et donc des grilles fonctionnelles au profit d’une grille unique qui a pu interroger les acteurs sur le risque d’une perte d’attractivité des parcours de carrières sur emplois fonctionnels au sein-même du versant. En particulier du fait que l’amplitude de cette grille – certes très importante, jusqu’à l’indice brut 2074 – reste théorique dans la mesure où la progression sur la grille sera subordonnée à des mécanismes très sélectifs : à la fois des accélérateurs d’aca conditionnés à l’occupation d’emplois de niveaux supérieurs et des conditions d’accès au 3ème grade dépendant de conditions de mobilité sur des emplois de 1er niveau dont le nombre a vocation à être extrêmement limité.
De forts vents contraires
Si une approche par les seuils démographiques est sans aucune doute la « plus mauvaise à l’exception de toutes les autres », et si l’on concédera que tout exercice de classification est par essence imparfait, les propositions initiales de classification qui ont été présentées aux associations d’élus se distinguaient par un réel manque de considération pour les responsabilités exercées par les cadres territoriaux : dans les tableaux initialement présentés, pas moins de 82% des plus de 2 500 emplois fonctionnels à classer étaient positionnés en niveau 4, et donc dépourvus de tout mécanisme d’accélération de carrière, au même titre qu’un administrateur territorial n’occupant aucun emploi fonctionnel. Un chiffre au demeurant beaucoup plus important que dans la classification arrêtée en 2022 dans la FPE (35%)
C’est ainsi que, en mai 2024, dans un courrier à Stanislas Guerini, la CET pointait « des écarts persistants entre les deux versants[…] avec des incohérences dans les niveaux de responsabilité retenus pour la classification des emplois fonctionnels » et regrettait le risque d’ « éloigner la transposition envisagée d’une logique de parité et, au-delà, [d’] obérer la capacité à assurer à la fois des mobilités fluides entre versants, mais aussi à proposer des perspectives attractives de mobilité et d’évolution de carrières entre emplois fonctionnels au sein-même de la fonction publique territoriale. »
Si France urbaine avait toutefois pu alors obtenir quelques évolutions – très relatives – de la classification des emplois de direction générale en niveaux 1 et 2, elle n’avait alors pas été entendue quant à la légitimité d’une prise en compte des fonctions mutualisées entre ville et EPCI, en cumulant la population des deux entités.
Plus largement, la discussion s’était heurtée à la difficulté à trouver les conditions d’un dialogue objectif avec l’État sur les niveaux de responsabilités et à une compréhension des réalités territoriales par l’ensemble des administrations centrales impliquées.
Le chantier aura ensuite été contrarié par la dissolution de l’Assemblée nationale. Jugé ensuite non prioritaire et peu opportun par le gouvernement Barnier au regard des mesures envisagées par ailleurs dans le PLF 2025 à l’égard des agents publics – pour mémoire, l’instauration de 3 jours de carence combinée à la baisse à 90% de l’indemnisation des CMO – le processus de travail sur la transposition sera finalement relancé par le gouvernement Bayrou.
Une relance par le gouvernement Bayrou et des avancées significatives
La reprise des travaux au printemps dernier s’est caractérisée par une réelle écoute du Gouvernement et une intention claire de faire aboutir la transposition.
Cependant, la présentation des projets de décrets au CSFPT le 9 juillet dernier s’étant opérée alors que la classification des emplois fonctionnels n’était pas encore stabilisée et arbitrée, le collège des employeurs a décidé de s’abstenir. En effet, cette classification étant la « pierre angulaire » de l’économie générale de la réforme, la CET a estimé qu’il était impossible de se prononcer en son absence.
Par ailleurs, les syndicats ayant émis unanimement un avis défavorable sur le texte, celui devait être présenté à nouveau, à une séance programmée le 17 septembre.
Dans cette perspective, dans un courrier adressé au ministre Laurent Marcangeli le 23 juillet dernier, la CET rappelait cette impossibilité et, « alors que l’action publique implique que soient valorisés l’engagement et la prise de responsabilités », regrettait que « la réforme laisse de côté, de ce point de vue, près de 80 % des agents concernés » dans la mesure où « du fait de leur classement en niveau 4, de nombreux cadres supérieurs particulièrement exposés seront traités indifféremment des fonctions exercées[…] et seront privés de toute logique de valorisation et de reconnaissance dans le déroulement de leur carrière ». Et les employeurs d’insister que le fait que « alors que l’absence de transposition de la réforme risquerait d’isoler le versant territorial, nous devons pour autant veiller à ce que les modalités de cette transposition n’aboutissent pas au même écueil en écartant de l’ambition de la réforme une part significative de celles et ceux qui ont fait le choix d’exercer des emplois administratifs de direction à nos côtés. »
La copie finalement arbitrée par le Gouvernement en vue du CSFPT du 17 septembre s’est traduite par de réelles avancées :
- La part des emplois des emplois fonctionnels classés en niveau 4 passe de 82% à 49%;
- Ainsi, tous les DGS sont classés au moins en niveau 3 et plus aucun poste de DGS n’est donc privé de mécanisme d’accélération de carrière ;
- Les DGA des communes et EPCI d’au moins 150 000 habitants sont classés au moins en niveau 3;
- Pour les postes de DGS mutualisés, un traitement spécifique est prévu, comme le réclamait France urbaine) : sont prises en compte la population de l’EPCI + la moitié de la population de la commune.
Des textes examinés par le CSFPT dont la signature devra attendre le prochain gouvernement
Lors de l’examen des textes par le CSFPT, le 17 septembre, certains représentants d’employeurs ont émis des réserves persistantes sur la classification, en particulier concernant les postes de directions des centres de gestion (CDG et CIG). Si ces réserves ont conduit à des votes différenciés du collège employeurs selon les projets de décrets, France urbaine a tenu, tout en partageant ces réserves, à saluer, par la voix de Roselyne Bienvenu, vice-présidente de la communauté urbaine d’Angers Loire Métropole et conseillère municipale d’Angers, « les importantes avancées obtenues et la qualité du travail réalisé entre les associations d’élus et le Gouvernement » et à redire le souhait de France urbaine de « voir la transposition enfin aboutir ».
La CFDT s’étant abstenue, le collège des organisations syndicales n’a donc pas émis d’avis unanimement défavorable et les projets de décrets ainsi que le projet d’arrêté interministériel portant sur la classification pourront être présentés à la signature du prochain gouvernement de plein exercice – l’actuel étant cantonné à la gestion des affaires courantes.
Il reste cependant une incertitude tenant aux conditions d’entrée en vigueur, toujours fixées par les textes au 1er janvier 2026.Une signature et une publication tardives contraindraient les collectivités à des formalités avant le 31 décembre s’agissant du nouveau régime indemnitaire (consultation du CST et délibération du conseil), soit dans des délais extrêmement courts et, de surcroît, sur des objets de dialogue social particulièrement sensibles.
Aussi, au terme de ce processus, la transposition devrait donc s’opérer selon les modalités suivantes :
- La mise en place d’une grille unique des administrateurs territoriaux comportant 3 grades (ainsi qu’un grade dit « provisoire » dédié aux actuels administrateurs généraux) avec un indice brut jusqu’à 2074 ;
- La suppression des actuelles grilles fonctionnelles au-delà de 40 000 habitants ;
- Un reclassement des administrateurs territoriaux sur cette grille unique au niveau de leur indice actuel et, lorsqu’ils sont classés actuellement sur une grille fonctionnelle, à l’indice le plus favorable entre la grille de grade et la grille fonctionnelle ;
- Un accès au 3ème grade réservé aux administrateurs de 2ème grade justifiant de 16 ans de services effectifs et d’au moins une période de mobilité de 3 ans depuis la nomination au 2ème grade dans au moins un emploi fonctionnel relevant du 1erniveau, après avis consultatif d’une instance nationale dédiée ;
- Une classification des emplois fonctionnels qui détermine le régime indemnitaire et le cadencement des avancements d’échelons ;
- Des plafonds de régime indemnitaire substantiellement revalorisés et la suppression de l’actuelle NBI et de l’indemnité de responsabilité. En cas de perte de rémunération lors de la mise en place de la réforme, une clause de sauvegarde permettra le maintien du montant équivalant au régime indemnitaire actuel augmenté de la NBI et de l’indemnité de responsabilité « nonobstant ces plafonds». Cependant, cette clause sera réservée aux emplois de niveau 4, la DGCL ayant rappelé lors du CSFPT qu’elle n’identifie aucun cas de perte sur les niveaux supérieurs, alors que France urbaine proposait dans un amendement son extension à tous les niveaux, estimant ne pas disposer d’étude d’impact permettant de s’en assurer.
Une transposition équivalente pour la filière technique ?
Comme ce fut le cas pour l’État, la transposition ne concernera que la filière administrative, là où une approche d’ensemble des fonctions d’encadrement supérieur, quelle que soit la filière, est évidemment souhaitable.
Alors que la réforme des grands corps techniques de l’État est à l’étude depuis quelques années, elle a été officialisée par deux décrets publiés le 15 août et selon une architecture très similaire à celle de réforme concernant les corps administratifs.
La question de sa transposition devrait donc logiquement se poser pour la FPT, en espérant que son processus sera plus court et plus serein que celui qui a caractérisé la filière administrative…