Actualité Numérique et innovation

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : QUELLES SONT LES ATTENTES DES ACTEURS LOCAUX ?

Depuis plusieurs années et sans attendre l’exposition médiatique actuelle, un nombre croissant de collectivités utilise l’intelligence artificielle (IA) pour faire évoluer et transformer l’action publique.

En parallèle au sommet mondial consacré à l’IA à Paris les 10 et 11 février, France urbaine s’est associée aux Interconnectés, à Intercommunalités de France et à la Banque des Territoires pour organiser une série de débats autour des usages territoriaux de l’IA. S’appuyant sur les résultats des premières concertations territoriales de l’IA organisées depuis plusieurs mois, cet échange a permis de mettre en évidence les craintes, attentes et propositions des citoyens, acteurs économiques et acteurs publics locaux.

AI chatbot usage and concepts

“Depuis 30 ans de transformation numérique de nos sociétés, les collectivités posent des cadres à l’usage public des nouvelles technologies, elles gagnent rapidement en maturité sur l’IA” a indiqué Francky Trichet, Président des Interconnectés et vice-président de Nantes Métropole. Elles développent des IA “utiles”, au service des politiques publiques, via par exemple une bibliothèque d’IA territorialisées dévoilée dans un mois. Mais l’IA est aussi un sujet politique dont l’impact sur la vie démocratique nécessite un cadre éthique et un travail continu sur son impact sur les métiers de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais d’y travailler “en pleine conscience”.

Pour Pierre Jannin, conseiller municipal délégué au Numérique et à l’Innovation à la ville de Rennes, il s’agissait de comprendre comment faire d’une question complexe un temps de débat avec les usagers. Les Interconnectés ont défini une méthodologie souple et des outils permettant aux territoires de s’approprier l’IA à leur manière et d’organiser des concertations territoriales. 23 territoires sont engagés depuis septembre 2024 dans ces démarches. Les premiers retours de ces démarches montrent une forte implication des agents des collectivités et des élus. L’ensemble des premiers travaux fera l’objet d’un Manifeste restitué lors de la prochaine édition des Interconnectés à Rennes les 10 et 11 mars.

À Rennes, le Conseil citoyen du numérique responsable, créé en 2021 et composé de citoyens tirés au sort, a été saisi par la Ville en 2023 sur la place de l’IA dans la vie locale, qu’il s’agisse de démarches et formalités ou d’influence de l’IA sur la vie publique (opinions, libertés…). Lucie Briard, membre du Conseil, évoque son expérience dans cette instance, la montée en compétence collective, la liberté laissée au groupe ; elle souligne également l’accent mis par ce collectif sur les risques de l’IA : dépendance, contrôle, influence, manipulation, affaiblissement de la distinction entre le réel et la fiction, et affaiblissement des capacités cognitives. Au vu de tous ces enjeux, il est nécessaire de “communiquer sur l’IA, de rappeler qu’il s’agit d’un outil basé sur la donnée et de rappeler que l’humain doit rester au centre. Nous devons sans cesse rappeler que nous nourrissons l’IA en l’utilisant”.

À Montpellier, en mars 2023, quatre mois après l’arrivée de ChatGPT, la collectivité décide d’un moratoire sur l’usage de l’IA générative et confie à un comité d’experts le soin de proposer plusieurs recommandations. Pour Manu Reynaud, adjoint au Maire, en charge du numérique, ville et Métropole de Montpellier, “si l’IA a une utilité, elle suscite aussi de la méfiance et la collectivité doit prendre la responsabilité d’organiser une concertation citoyenne qui n’a pas eu lieu au niveau national.

La collectivité héraultaise a notamment retenu la proposition d’organisation d’une convention citoyenne à l’échelle du territoire débouchant en janvier 2024 sur plusieurs messages et préconisations permettant à la collectivité de produire sa stratégie de la donnée et de l’IA et de mettre en place un Comité permanent de l’IA et du numérique. Sur ces bases, 1000 agents de la collectivité vont être formés à l’usage d’outils d’IA. Une grande enquête auprès des jeunes est en cours de lancement, accompagné d’un guide pour l’organisation de débats au sein des établissements scolaires.

Pour Dominique Marty, membre associé au Bureau du Sicoval chargé de la transformation numérique, “nous avons besoin de confronter les paroles des experts, des sachants, des philosophes avec la vie des citoyens”. Dans cette agglomération du sud est toulousain, c’est vers les seniors que se tourne la collectivité, pour les sensibiliser aux usages potentiels de l’IA permettant d’améliorer leur vie quotidienne et leur santé (assistance vocale, accès simplifié à l’information ou au services, téléconsultation, traduction…). Cette simplification peut réduire certaines fractures numériques mais son usage trop étendu peut déshumaniser la relation entre le citoyen et la collectivité.

Les citoyens ne sont pas les seuls acteurs de ces débats territoriaux sur l’IA. Pour les entrepreneurs du numérique, acteurs de la santé ou patron de PME, l’IA est une opportunité mais sous certaines conditions : qualité de la donnée et résilience seront des facteurs déterminants de succès. Pour Bertrand Serp, Vice-président de Toulouse Métropole, chargé de la transition digitale, l’encadrement de l’IA relance le débat sur la compétitivité industrielle française et sur le poids de la norme. “Il faut aller vite en posant et adaptant un certain nombre de garde-fous”.

Pour faire des économies d’énergie, lutter contre le gaspillage dans les cantines municipales, la métropole toulousaine a choisi de développer sa propre plateforme d’IA. Elle construit actuellement un hub de 30 000 m² dédié aux entreprises actuelles et à venir, permettant de travailler à l’acculturation, la diffusion et la montée en compétences.

L’IA a et aura un impact majeur sur l’efficience opérationnelle de toutes les entreprises, à tous les niveaux, si elles s’en saisissent. C’est pourquoi la CCI de Toulouse déploie un dispositif de formation auprès de 1000 entrepreneurs à l’IA, en évoquant les promesses comme les risques ou biais pour inviter ces acteurs à maîtriser le déploiement de l’IA, notamment quand les collaborateurs de l’entreprise utilisent l’IA à l’insu de leur encadrement. Après l’effet “waouh”, il est essentiel de positionner l’IA comme consolidation de l’expertise de l’entreprise en sensibilisant sur la sensibilité des données, sur leur indispensable anonymisation.

France urbaine, Les Interconnectés et Intercommunalités de France poursuivront leurs réflexions à l’égard d’un programme basé sur le référencement des cas d’usages pour les collectivités, l’élaboration d’un cadre éthique et une projection sur les directions métiers au sein des collectivités, couplée à la gestion prévisionnelle des ressources humaines (GPRH). En outre, un an après un déplacement de la commission Numérique à Bruxelles et les rencontres successives avec la Commission européenne, villes et métropoles poursuivront leur concours à l’égard des orientations politiques européennes en matière d’agenda numérique, en cohérence avec les enjeux de développement économique, de droits digitaux et d’enjeux de souveraineté.

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Sébastien TISON
s.tison@franceurbaine.org
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