LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS, OBSERVER, SIGNALER, PRÉVENIR, RÉDUIRE : FOCUS SUR VILLEURBANNE ET MONTPELLIER
En 2022, France urbaine lançait son groupe de travail lutte contre les discriminations sous la coanimation d‘Agathe Fort (Villeurbanne) et Siham Labich (Saint-Etienne métropole). Depuis ce lancement, plusieurs rencontres ont abordé les stratégies menées en matière d’orientation, d’emploi, de ressources humaines et d’éducation. En vue d’alimenter des échanges de pratiques et de soutenir le travail des élus, des rencontres techniques approfondissent les outils mobilisés au niveau local. Focus sur les villes de Villeurbanne et Montpellier.
Villeurbanne : un réseau de vigilance soutenu par la ville en vue de favoriser l’accès aux droits et la sensibilisation de l’ensemble du tissu local
De la coproduction de la discrimination à la coproduction de la non-discrimination : Villeurbanne constitue un acteur historique en matière de lutte contre les discriminations. Cette démarche fondée sur le triptyque “mobiliser, former, agir” et l’activation du droit en vigueur s’incarne notamment dans un réseau de vigilance composé d’intermédiaires.
Acteurs de l’emploi, du logement, de l’accès aux droits, ces intermédiaires constitués aussi bien des associations de droits au logement que de France Travail (ex Pôle emploi), des missions locales ou des services du Centre communal d’action sociale, sont des témoins de premier plan des discriminations susceptibles d’intervenir dans le parcours des personnes mais aussi des acteurs susceptibles de co-produire eux-mêmes des discriminations selon des processus le plus souvent largement inconscients.
Le réseau de vigilance est ainsi un outil de recueil et signalement aussi bien qu’un collectif engagé dans une démarche réflexive en vue de corriger les processus discriminatoires. Chaque structure a signé une charte par laquelle elle s’engage à repérer les discriminations, les faire remonter, s’interroger sur ses pratiques et participer aux formations réalisées chaque année.
Rendre visible l’invisible, un processus lent nécessitant formation continue et soutien juridique : les fiches de signalement recueillies dans le réseau sont anonymisées et relayées à la mission lutte contre les discriminations. Différentes stratégies sont engagées en fonction de la situation : qualification juridique des faits avec l’appui d’une juriste spécialisée, aller-retour constant entre la pratique et le droit sur les situations les plus complexes, mobilisation le cas échéant des acteurs intermédiaires pour mise en relation avec la structure ayant généré la situation.
L’acteur intermédiaire, soutenu, outillé et formé, joue un rôle clé dans le processus de rappel au cadre à l’égard du secteur dans lequel il intervient. Ce travail s’adosse à un observatoire territorial qui collecte données et signalement en vue de repérer les champs de discrimination et les suites données. Différents plans d’action thématique (emploi, logement, démarche de testing en agence bancaire…) sont ensuite susceptibles d’être engagés.
Si le flux annuel peut paraître réduit (entre 20 et 30 situations par an dans les permanences juridiques et dans le réseau et près du double auprès du défenseur des droits), ce sont plus de 1 000 situations qui ont été relayées depuis la création du réseau dans un domaine où le sous-signalement est constant. In fine, le nombre de situations constitue un indicateur en vue d’identifier les secteurs à investir en priorité ainsi que phénomènes non qualifiés juridiquement mais pouvant alimenter le ressenti de discrimination.
À cet égard, le ciblage de plus en plus fréquent par les employeurs des “soft skills” (savoir-être, mode de présentation) dans les processus de recrutement constitue un phénomène à investiguer. Un autre champ de développement est la mobilisation des acteurs extérieurs au réseau (centres LGBT ou Centre national d’information des droits des femmes et des familles).
Montpellier : l’observatoire au centre d’une démarche de transformation des politiques publiques
Une démarche initiée dans le cadre des contrats de ville visant six axes : au vu des éléments de ressenti relayés par le tissu local, les acteurs du contrat de ville ont ciblé six axes de recherche visant tantôt un public, tantôt un processus, tantôt un service, les discriminations vécues par les familles monoparentales, par les étudiants ayant terminé leurs études en quartier prioritaire de la politique de la ville, par les femmes en quartier prioritaire de la politique de la ville, les discriminations liées au handicap, à la dématérialisation, les discriminations dans l’accès au logement. Les discriminations liées à l’origine réelle ou supposée n’ont pas été prises comme un point d’entrée dès lors qu’elles apparaissent comme un fil rouge aggravant au sein des six axes investigués mais font l’objet d’une vigilance particulière au sein des six axes.
Petite enfance, santé mentale, emploi, un processus d’observation aboutissant à des démarches correctives : dès 2017-2018, un travail de recensement des données locales est engagé en vue de bâtir une méthode de repérage des discriminations. Une approche qualitative vient compléter ce travail statistique (observation participante, recherche action, entretiens avec les acteurs institutionnels etc.). De manière régulière, un travail de mise à jour est opéré en vue de déterminer si une évolution est constatée dans le temps.
Les présentations de l’observatoire qui réunit notamment les acteurs de l’État (préfecture, Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités, Agence régionale de santé, Caisse d’allocation familiale), le défenseur des droit, le CCAS s’opèrent à destination d’un large public : institutionnels, étudiants, acteurs de terrain, universitaires, personnes concernées.
L’un des enjeux est in fine de repenser les politiques publiques. À titre d’exemple des réflexions ont ainsi été menées sur les systèmes de cotation pour les places en crèche en vue d’éviter une éviction des familles monoparentales, un travail est engagé avec un réseau d’entreprises engagées contre le racisme, une meilleure articulation entre contrats locaux de santé mentale et politique de la ville se dessine…. Cette approche de fond se déploie selon les publics tantôt sur le territoire de Montpellier, ciblant les quartiers prioritaires de la politique de la ville, tantôt à l’échelle métropolitaine.
De l’appel à projet à la raréfaction de fonds, des acteurs locaux confrontés à l’instabilité des financement
La lutte contre les discriminations émarge largement à des appels à projet. Le lancement de testing, le financement de recherches et d’études nécessitent, le maintien d’une ingénierie de formation, nécessitent des moyens conséquents. Paradoxalement, en vue de justifier les moyens sollicités, une course à la donnée peut être engagée que les acteurs locaux ne sont pas toujours en capacité de fournir au vu des coûts de collecte et des écueils techniques.
Ces politiques sont également étroitement dépendantes d’une continuité du portage multipartenarial et se heurtent donc à des phénomène de stop and go liées à des rotations au sein des institutions (voir l’expérience de Villeurbanne sur le champ de la discrimination à l’orientation).
Références
Réseau de vigilance de Villeurbanne : fiche Réseau de vigilance LCD (villeurbanne.fr)
Charte d’engagement Villeurbanne : CHARTE_MISENEPAGE2.indd (villeurbanne.fr)
Site de l’observatoire de Montpellier : https://www.montpellier.fr/4817-observatoire-des-discriminations.htm
Les podcasts de l’observatoire de Montpellier :
Handicap et discriminations dans les quartiers politiques de la Ville
Discriminations contre les personnes LGBT+ : avancées et reculs
Les effets discriminants du processus de dématérialisation du service public