Actualité Économie des territoires Numérique

IA ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : PREMIÈRES DÉMARCHES EN VUE D’UNE RÉGULATION RAISONNÉE

À l’heure où l’Intelligence Artificielle (IA) prend place dans le débat public et se diffuse dans de vastes champs de l’économie et de la société, la manière dont les grandes intercommunalités urbaines appréhendent le sujet au titre de leur compétence en développement économique reste un sujet exploratoire, structuré autour de nombreuses questions.

Artificial intelligence and technology abstract backgrounds

Parmi les questions posées : la Smart City peut-elle avoir un effet sur l’attractivité ou l’incubation d’entreprises liées à l’IA ? Des territoires ont-ils mandaté leurs dispositifs de prospection et promotion (agences notamment) pour implanter des entrepreneurs mobilisés sur l’IA ? Des territoires ont-ils positionnés sur l’IA leur immobilier dédié (incubateurs, pépinières, hôtels d’entreprises…) ? Quelles articulation avec les initiatives privées portées par les grands groupes industriels ou de services ? Des territoires ont-ils engagé la mise en place de filières ou des actions d’accompagnement des entreprises locales pour qu’elles se développent et se transforment via l’IA ? Quelles interactions mettre en place avec la société civile et les experts pour encadrer et accompagner cette inclusion de l’IA dans les stratégies économiques locales ?

Les Commissions Économie des territoires et Numérique de France urbaine se sont récemment réunies pour partager les premières expériences locales et identifier quelques principes et bonnes pratiques permettant d’accompagner et réguler éthiquement le développement de l’IA.

L’IA, un sujet politique

Pour Bertrand Serp, vice-président de la métropole de Toulouse, chargé de la transition digitale, “l’IA prend actuellement et rapidement position dans les entreprises, dans nos écosystèmes, chez nos citoyens. C’est pourquoi, il est nécessaire de l’appréhender dans ses différentes strates. C’est d’abord un outil d’innovation et de création de valeur sur nos territoires, notamment dans les entreprises, un outil d’accélération mais aussi un dispositif potentiellement attentatoire aux libertés. C’est donc un sujet politique, qui va interagir au quotidien avec nos villes “intelligentes” dans la construction, la santé, la sécurité, à l’image de la démarche IA data de Toulouse Métropole, collectant les données pour rationaliser les politiques publiques, et s’ouvrir aux données privées pour améliorer la qualité des services publics”.
C’est pourquoi, en parallèle, il est nécessaire d’appréhender l’IA socialement : le territoire doit construire son éthique, distinguer les avancées des risques ; sur ces bases locales, les associations d’élus doivent faire des propositions transversales sur ce que l’on attend ou pas d’une IA territorialisée.

Pour tenir liées ces différentes dimensions, la notion de souveraineté est essentielle : « Nous devons garder l’indépendance territoriale dans ce domaine, créer les conditions d’une ville durable avec les outils de l’IA, sans perdre le contrôle des données ». C’est pourquoi, Toulouse a créé une agence publique de la donnée. La donnée est en effet la base de l’IA : alors que les politiques publiques locales sont de plus en plus difficiles à financer, les attentes des citoyens restent fortes, l’analyse des données et leur utilisation doit permettre de rendre certains services publics moins coûteux et plus efficients.

Dans le champ du développement économique et pour ancrer localement les initiatives engagées dans le domaine, Toulouse Métropole porte le projet d’un campus IA et cybersécurité, sur 50 000 m² ; il s’agira d’y créer les conditions d’un positionnement international de la métropole sur ces sujets, de concentrer start up, entreprises plus matures et équipes de recherche. Le travail de ces dernières années sur la Smart City a été un temps préparatoire solide à cette nouvelle étape.

L’intercommunalité “coordonnatrice” des initiatives locales

Geoffroy Boulard, vice-président de la Métropole du Grand Paris, délégué à la Communication, à l’Innovation et au Numérique, propose un positionnement de l’intercommunalité comme “coordonnatrice” et régulatrice des initiatives locales.

Dans le champ de l’IA, comme dans d’autres champs de l’innovation, la Métropole s’appuie sur l’écosystème francilien des entreprises innovantes et sur des structures de l’innovation sociale, en s’appuyant sur les communes pour “sourcer” les projets : l’appel à projets “innover dans la ville” a ainsi permis de faire remonter de nombreux projets d’IA portés par les communes. À Suresnes, un centre de contacts usagers, avec des téléconseillers appuyés par une IA générative ; à Noisy le Grand, un système d’optimisation de la collecte des corbeilles de rue, à partir de capteurs de remplissage.

Autre dispositif porté par la Métropole du Grand Paris : un appel à candidatures qui permet de concentrer de l’innovation en réponse à un besoin territorialisé et de mettre en place des “quartiers métropolitains d’innovation”. Sur 28 projets, 7 intègrent une brique IA : prédiction de la qualité de l’air (Aulnay-Sous-Bois), y compris à l’intérieur des bâtiments ; outil d’aide à la décision sur la qualité de vie, via un hyperviseur améliorant la reconnaissance d’images pour les piétons et vélos (Noisy) ; application mobile permettant à un usager de tracer les mobilités en confidentialité.

Mot d’ordre : la régulation

“Sélectionner et accompagner les communes permet de ne pas financer des démarches déconnectées des réalités publiques et des besoins locaux. Cela permet en outre de mobiliser les experts du territoire, de réguler et de retenir les solutions utiles aux villes. Enfin, c’est le moment d’assurer le contrôle de la data sur ces projets” explique Geoffroy Boulard.

Pour Kevin Cardona, directeur de l’innovation entrepreneuriale chez Léonard (plateforme d’incubation et d’accélération d’entreprises innovantes du groupe Vinci), chaque filière, entreprise ou organisation publique se doit de travailler au déploiement de l’IA dans l’ensemble de ses métiers. Chaque application de l’IA reste en effet très spécifique à l’activité qu’elle impacte, il y a un modèle d’IA et autant d’applications que de métiers et d’activités. Maîtriser l’impact et l’intégration de l’IA sur les activités de l’organisation sont en effet indispensables pour rester attractif, préserver ses savoir-faire et maintenir la maîtrise stratégique des données. C’est aussi un outil majeur d’interfaçage avec les données publiques, pivot de la mutation des villes.

L’IA comme un gain d’efficacité

L’abondance de financements privés (et publics) provoque actuellement une croissance exponentielle des entreprises innovantes dans le champ de l’IA, notamment dans le champ de l’urbain. Les grands groupes, comme les collectivités, doivent savoir déterminer leurs besoins pour faire face à cet afflux. L’IA est une révolution industrielle, l’émergence rapide de technologies naissantes auxquelles il faut se former ; l’IA ne remplacera pas les individus mais les acteurs qui la maîtrisent seront durablement compétitifs. C’est un outil de gain d’efficacité, la première disruption pour les cols blancs.

Observer et cartographier les acteurs de l’IA

Pauline Mornet, chargée de missions filières Numérique et Industries Culturelles et Créatives à la Métropole de Montpellier, la question est actuellement posée de dédier une filière stratégique à l’IA. Pour y répondre, la métropole est actuellement en phase d’observation : l’IA est d’abord un outil digital supplémentaire à appréhender au sein d’une filière numérique aujourd’hui mature (4 000 entreprises sur le territoire). Les acteurs locaux du numérique se sont mobilisés dès l’origine. Cela a permis d’établir et d’actualiser une cartographie des acteurs de l’IA recensant une soixantaine d’entreprises dédiées. Elles intègrent l’animation de la filière, en transversalité et avec une focale sur la filière santé (MedValley). C’est aussi une observation de la manière dont les acteurs économiques locaux s’approprient le sujet.

Parallèlement, une convention citoyenne sur l’IA a été engagée par la métropole de Montpellier et se conclura en mars. Elle se veut l’amorce de l’écriture d’un cadre éthique pour une “IA responsable”. L’appropriation par les grandes écoles du territoire, segment d’une vraie sensibilisation de l’ensemble du secteur académique, s’accompagne d’une nette mobilisation sur la question de la maîtrise de la donnée.

Sur le plan strictement immobilier enfin, la Halle de l’innovation actuelle accueille un incubateur des solutions innovantes. On  y note une croissance forte des solutions intégrant l’IA, sans que la Métropole envisage encore de lui dédier un bâtiment spécifique.

Prendre le contrôle, mesurer les effets, identifier les opportunités : les applications sont multiples, l’éthique ne doit jamais en être dissociée. Les territoires comme les entreprises doivent apprendre à maîtriser les données mais aussi à les sourcer. Les territoires doivent se doter d’une ligne de conduite sur les usages, définir leurs besoins et travailler à mettre l’IA au service des citoyens, comme des acteurs économiques locaux.

3 axes de travail pour France urbaine

Pour alimenter les démarches locales, le travail de France urbaine s’organise autour de 3 axes :

  • une bibliothèque des initiatives IA des adhérents,
  • un travail sur IA et vie publique pour déterminer notamment comment verser l’IA dans le débat public (à l’image des débats sur la 5G), comment faire avec les citoyens, expérimenter en transparence, avancer avec les acteurs de l’éducation populaire, pour atteindre les plus jeunes, etc.,
  • un travail sur les répercussions métiers. La notion d’IA territoriale portée par France urbaine rencontre la réflexion menée au niveau national sur une gouvernance de l’IA. Les échanges déjà engagés seront étendus prochainement à l’échelle de l’UE et débattus également avec les parlementaires (données sensibles, non-recours…).
Sébastien Tison
s.tison@franceurbaine.org
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