FRANCE URBAINE SE SAISIT DU MODÉLE ÉCONOMIQUE DES CENTRES DE SANTÉ
Alertée par les difficultés rencontrées par de nombreux adhérents, la Commission Santé, réunie lundi 8 avril dernier, a souhaité aborder la situation économique des centres de santé, publics et parapublics, dont la fragilité du modèle économique constitue un enjeu majeur dans nombre de territoires urbains.
Qu’ils soient en régie ou associatifs, ces centres assument un rôle majeur, a fortiori en période de crise où la libération du temps hospitalier est une priorité. Ils favorisent l’accès aux soins, à la prévention et aux droits pour les plus vulnérables, qui représentent 20 % de leurs patients contre 8 % dans les maisons de santé. Ils représentent des espaces de cohésion territoriale, notamment en rapprochant les habitants des quartiers prioritaires du soin. Or ces ambitions et ces résultats ont un coût : celui du temps passé avec chacune et chacun, pour soigner mais aussi contribuer à lever une partie des difficultés qui entravent les parcours complexes. Un coût qui ne s’accommode plus d’une logique de tarification à l’activité, et qui suppose au contraire de redonner sécurité, visibilité et confiance à ces espaces de soin et de dialogue essentiels.
Retour sur les débats qui ont associés Hélène Colombani, présidente de la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS), Katy Bontinck, adjointe au maire de Saint-Denis et Pierre-André Juven, adjoint au maire de Grenoble, ainsi que plus de 40 élus et cadres territoriaux réunis autour de l’animation de Grégory Doucet, maire de Lyon et coprésident de la Commission Santé.
Des missions d’intérêt général mais un déficit structurel
Hélène Colombani, présidente de la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS), a ainsi évoqué le reste à charge structurel qui pèse sur les finances des centres de santé publique, qu’ils soient municipaux ou associatifs.
On constate ainsi un rapport déséquilibré entre charges et chiffre d’affaires. Le déficit résiduel est en général de 18 % pour les centres polyvalents, et de 11 % pour les centres plurimédicaux.
Plusieurs missions d’intérêt général des centres de santé sont insuffisamment valorisées : le soutien aux personnes vulnérables, le tiers-payant et les actions de prévention, si fondamentales et pourtant financées à moins de 50 % du coût réel.
Les recettes des centres de santé proviennent à 80 % des actes de soin, et à 20 % des aides liées à l’accord national datant de 2015, passé entre les associations représentatives et l’Assurance Maladie.
Les dépenses relèvent à 80 % des ressources humaines. Or tout choix de renforcer l’attractivité financière dégrade de fait la marge financière de ces établissements.
Des déséquilibres qui peuvent aboutir à des situations de faillite ou de quasi-faillite, avec comme alternative soit la fermeture du centre et son impact sur la population, soit l’abondement financier par la collectivité qui doit donc avoir les reins solides dans une période de tension budgétaire, soit par la reprise par des groupes privés qui n’assument pas les mêmes missions d’intérêt général, ni la même redevabilité démocratique sur l’usage des financements publics.
Quelles hypothèses pour l’avenir, pour remédier à ces fragilités structurelles ?
Le maintien de la rémunération à l’acte, centrée sur le soin, est une hypothèse qui prend cependant peu en compte, structurellement, la prévention.
C’est donc par l’inscription dans le droit commun de certaines expérimentations qu’une forme de stabilité financière pourrait être pérennisée selon la FNCS. À l’instar de Prescription d’exercice physique pour la santé (PEPS), qui permet une rémunération au forfait, plus élevée de 40 %, pour mieux prendre en compte l’âge, la vulnérabilité, la précarité de la patientèle. Ce forfait prend en compte la définition de l’OMS relative à la santé : ressentir un état de mieux être par rapport à sa maladie. Cette expérimentation a récemment été prolongée pour deux ans, mais son inscription dans le droit commun serait une avancée majeure.
Option alternative et plus ambitieuse, s’inscrivant par ailleurs dans la logique de contractualisation globale défendue par France urbaine, l’octroi d’une dotation populationnelle. Les centres de santé œuvrent souvent en responsabilité populationnelle, parfois dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec des missions de prévention, des missions médico-sociales. Il est d’ailleurs à noter que le Conseil national pour l’égalité (CNLE) a dernièrement remis son rapport au Gouvernement et y fait référence dans le cadre de la proposition 21 (sur le modèle des missions d’intérêt général reconnues aux centres hospitaliers).
La présidente de la FNCS, tout comme les élus de France urbaine, insistent ainsi sur la nécessité de se placer au niveau de l’usager, lesquels ont besoin d’un panier de soins de santé (prévention, soins palliatifs…). Dès lors, et en conséquence, il faut prévoir autour les briques de financements adéquates.
Saint-Denis et Grenoble : centres en régie, centres associatifs, un même besoin de sécuriser l’investissement pour l’intérêt général
Katy Bontinck, première adjointe à la Ville de Saint-Denis, chargée notamment des enjeux de santé et de logement, a ensuite témoigné des fragilités que cette “insécurité” financière fait peser sur des territoires comme Saint-Denis, historiquement en avance sur la volonté d’être des effecteurs directs de santé (salariat de médecins, centres de santé…). L’absence de statut de praticien hospitalier territorial constitue par ailleurs un véritable enjeu, le statut de médecin de santé publique n’étant pas adapté à toutes les situations. De la même façon, l’absence au sein de la fonction publique territoriale, de statut comparable à l’Infirmier de pratique avancée (IPA). Et l’insuffisante transposition du Complément de traitement indiciaire (CTI) appliqué par le Ségur à l’hôpital, qui en découle.
Pierre-André Juven, adjoint au maire de Grenoble, a ensuite insisté sur le rôle des centres de santé, a fortiori en période de crise, et lorsqu’il faut trouver du temps au bénéfice de l’hôpital. Ces structures répondent à la question du premier recours, notamment du point de vue épidémiologique, au sujet de la coordination entre professionnels, parce qu’ils incluent les usagers dans le débat autour de certaines questions. Aussi, il a insisté avec force sur la profonde anomalie que constitue la fragilité économique de ce maillage essentiel de structures d’accès à la santé.
Mais aussi les logiques de prédation auxquels les centres les plus en difficulté sont exposés, avec des logiques de reprises par certains groupes privés qui ne s’installent pas forcément dans des zones sous-dotées en offre de soins, ni n’accomplissent de quelconques missions d’intérêt général dans leurs pratiques. Une réalité face à laquelle les collectivités ne disposent aujourd’hui d’aucun véritable levier de régulation.
France urbaine souhaite être force de propositions auprès du Gouvernement
L’Association prévoit de prioriser, synthétiser et affiner les pistes évoquées au cours de la réunion de la commission, notamment dans la perspective d’un futur Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui risque d’être sous pression.
L’enjeu du maintien et de la pérennité des centres de santé s’avère crucial dans une perspective de santé globale, et de prévention, sur des territoires où les collectivités agissent en pleine responsabilité vis-à-vis de leurs populations.
Les propositions retenues feront l’objet d’un dialogue avec le ministre de la Santé et de la Prévention, Frédéric Valletoux, qui considère “son ministère comme celui des territoires”.