Actualité Finances et fiscalité

ARTICULATION ENTRE DETTE FINANCIÈRE ET DETTE ÉCOLOGIQUE : LA COUR DES COMPTES S’EMPARE DE LA QUESTION

Au printemps 2023, lors des échanges ministériels menés en amont des Assises des finances publiques, France urbaine s’était employée à ce que le Programme de stabilité (document transmis chaque année par l’État à la Commission européenne et ayant pour objectif d’exposer la trajectoire de finances publiques que le Gouvernement s’est fixée à horizon 2027) intègre les besoins d’investissements publics indispensables pour mettre en œuvre la transition écologique. Sans succès. 

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Bis repetita lors de l’examen parlementaire du projet de loi de programmation des finances publiques. Ce n’est qu’in extremis, que le texte finalement promulgué a intégré un article 9 se contentant de préciser que “le Gouvernement transmet chaque année au Parlement, avant le début de la session ordinaire, une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale”.  

Aussi, les propos de Pierre Moscovici, selon lesquels “la décarbonation n’est pas une simple option, [et que] nous avons deux dettes, une dette financière et une dette climatique auxquelles nous devons faire face simultanément” (Les Échos, 15 juillet 2024), sont à relever non pas tant par ce qu’ils exposent que du fait qu’ils émanent du Premier président de l’institution de la rue Cambon.  

Une question de crédibilité 

La tonalité du rapport rendu public par la Cour ce 15 juillet est sans ambiguïté : “La situation est rendue plus préoccupante encore par le fait que la programmation pluriannuelle des finances publiques n’intègre pas pleinement les enjeux liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique, alors que les engagements souscrits en vertu de l’Accord de Paris, réitérés dans le cadre européen, doivent être atteints en 2030, soit un horizon désormais très proche. Or, que ce soit en matière de croissance, d’investissements ou d’érosion de la fiscalité, cette transition a un coût qui pèsera nécessairement sur les finances publiques et qui n’est pas pris en compte à ce stade”. 

Pis, cette impasse contribue à rendre la communication sur la trajectoire des finances publiques nationales (a minima) “peu réaliste”. Une illustration :la hausse structurelle des investissements des collectivités en matière de transition écologique et d’adaptation au changement climatique contrarie la régularité du cycle électoral et la prévision de dépenses du programme de stabilité en fin de période.

En effet, quelle est la crédibilité de documents (loi de programmation, édition d’avril 2024 du Pacte de stabilité à sa page 29) qui affichent que le solde des administrations publiques locales serait (fortement) excédentaire en 2026 et 2027 du fait de la baisse attendue de l’investissement des collectivités territoriales en raison du cycle électoral municipal, et qui ignorent donc que, d’ores et déjà, ce cycle est fortement modifié par l’effort d’investissement local résultant de l’urgence climatique ?

Un premier chapitre en préfiguration d’un nouveau rapport public périodique  

Partant donc du constat “qu’aucun lien n’a encore était fait entre la SNBC (Stratégie nationale bas carbone) et la programmation des finances publiques” et afin de contribuer à mettre un terme à cette lacune décrédibilisante, la Cour a pris la décision de consacrer un nouveau rapport annuel spécifique à cette question. Une publication annoncée dont on peut penser que le chapitre complet du rapport du 15 juillet est une préfiguration. 

Ce chapitre intitulé “Un impact du changement climatique et de la transition énergétique à intégrer dans la programmation des finances publiques” est riche d’enseignements et trace des perspectives de travail.

Sans exhaustivité, on retiendra notamment : 

  • que si trois principaux instruments économiques peuvent être mobilisés pour réduire les émissions, à savoir : la subvention, la norme et la tarification carbone, c’est, aux yeux des magistrats de la rue Cambon, cette dernière qui est considérée comme “ l’instrument le plus coût-efficace”. Il a l’avantage de générer des recettes publiques, lesquelles ont vocation à “atténuer les effets distributifs négatifs de la fiscalité carbone par des mesures d’accompagnement social ”(tels que des transferts aux ménages les plus modestes) ,
  • que si les différentes estimations des investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie française et des conséquences économiques du réchauffement et de la transition convergent désormais, il n’y a (toujours) pas réellement de consensus sur la répartition de l’effort entre acteurs privés et acteurs publics, et au sein de ces derniers, entre État et collectivités. 

Financement de la transition : quelles marges de manœuvre autour du besoin de financement public ? 

Hasard du calendrier, I4CE vient de publier sa nouvelle étude intitulée « Financement de la transition : quelles marges de manœuvre autour du besoin de financement public ? », évaluant l’effort d’investissement public supplémentaire dans une fourchette comprise entre 39 et 71 milliards d’euros à l’horizon 2030 (par rapport à 2024), pour le seul volet de réduction des gaz à effets de serre sur les seuls secteurs de la rénovation énergétique des bâtiments, des transports et de la production d’énergie. Si la fourchette peut sembler large, c’est que justement que l’effort final réel est conditionné à un certain nombre d’arbitrages en matière fiscale, de réglementation sectorielle, d’allocation des aides, ou, comme le propose I4CE, d’augmentation des CEE. Des choix qu’il faudra effectuer d’autant plus rapidement qu’ils mettront nécessairement du temps à produire leurs effets, et qu’ils supposent au préalable de mettre fin au déni de la dette écologique consistant pour Bercy à ne reconnaître officiellement les engagements de la France que lorsqu’ils portent sur la trajectoire des finances publiques. Or comme le rappelle justement la Cour, les objectifs climatiques doivent être “pleinement intégrés à notre ordre juridique et susceptibles d’engager la responsabilité de l’État pour faute s’ils ne sont pas atteints”.

Christophe Amoretti-Hannequin
c.amoretti-hannequin@franceurbaine.org
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