Cohésion territoriale Transition écologique

EAU ET AGRICULTURE, QUELS LEVIERS ? LES TERRITOIRES URBAINS ECHANGENT DANS UN CONTEXTE DE TENSIONS CROISSANTES AUTOUR DES SYSTEMES ALIMENTAIRES

Garantir une eau de qualité, adapter les usages, réguler les tensions, transformer les pratiques agricoles : la commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine se réunissait le 4 février en vue d’échanger autour des leviers et limites de l’action locale. Hasard de l’actualité ? De tels débats interviennent dans un moment clé où se croisent loi souveraineté agricole, proposition de loi visant l’interdiction de certains polluants éternels, la mise en place d’une expérimentation sur la sécurité sociale de l’alimentation ainsi qu’une résolution pour une loi-cadre en matière d’alimentation… Dans ce contexte, les élus de France urbaine invitent l’Etat et l’Europe à faire preuve de constance et de cohérence dans les objectifs et les moyens pour mieux accompagner un engagement local en manque de soutien. 

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Un contexte de tensions croissantes autour de l’eau 

La ressource en eau génère des tensions aussi bien en quantité qu’en qualité. A Dijon métropole, en amont du bassin versant, la pluviométrie a baissé de 100 millimètres par an dans un territoire où la moyenne se situait aux alentours de 600 millimètres. Le changement climatique est là, très sensible dans les zones déjà déficitaires. Sur ce territoire c’est en effet l’eau qui limite réellement la transition alimentaire et la transition agroécologique. Sans eau pas de mutation des cultures ni de haie. Des travaux sont menés sur la désimperméabilisation en vue de trouver certains leviers dans le respect du principe de solidarité au sein d’un bassin versant. 

 L’implication des collectivités et groupements est une nécessité au sein des comités de bassins et dans le cadre de l’élaboration des Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE).  Martin Gutton, anciennement délégué interministériel à l’eau en agriculture, rappelle l’impératif d’une prise en main par les élus locaux désormais pleinement responsables de la qualité de l’eau sur leur territoire, invitant le cas échéant à mettre en place, en lien avec la préfecture, des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) ou des paiements pour services environnementaux (PSE) à l’image de la politique ambitieuse menée par Eau de Paris ou la Métropole européenne de Lille.  

 Ironie du calendrier, dans les jours qui suivent la commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine plusieurs dizaines d’élus du bassin versant de la Vilaine, chercheurs et médecins, alertent de manière transpartisane sur la pollution de l’eau par les pesticides de synthèse en amont de la mise en débat du SDAGE. Eau de Paris et Atlantic’eau, le service public de l’eau en Loire-Atlantique communiquent par ailleurs le 13 février, les résultats de leurs analyses sur la présence de polluants éternels dans l’eau et revendiquent pour partie, par l’action contentieuse, la nécessité de réaffirmer le principe pollueur-payeur, un principe par ailleurs cher à France urbaine. 

 Une action volontariste des collectivités – Eau de Paris et la Métropole européenne de Lille 

 Dan Lert, président d’Eau de Paris, rappelle que l’alimentation de la ville de Paris provient à 50% d’eaux souterraines captées jusqu’à 150 km de Paris dans des zones rurales sur 240 000 hectares. Pendant plus de 10 ans, Eau Paris mobilise les aides agro-environnementales du second pilier de la PAC avant d’initier son propre dispositif sur le principe des paiements pour services environnementaux. Financé à 80% par l’Agence de l’eau Seine Normandie, avec une participation de la régie de 20%, il cible plusieurs centaines d’exploitations sur treize ans avec deux types de contrats, contrats bas intrants sur 6 ans et contrats en agriculture biologique sur une durée de 7 ans. 

 La Métropole européenne de Lille comme le rappelle Jean-François Legrand, vice-président en charge de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces naturels, est une des premières métropoles agricoles de France avec 43% de son territoire, en surface agricole. 29 communes sur 95 sont concernées par les champs captants qui produisent 40% de l’eau potable du territoire. C’est sur ce périmètre que se déploie depuis plusieurs années la démarche des « communes gardiennes de l’eau » où des périmètres de protection des surfaces agricoles et naturelles (PEAN ou PAEN) sont mis en place. Sanctuarisant l’usage des terres, ces périmètres favorisent un travail de long terme auprès des agricultures sur de la reconversion. En lien avec les communes couvertes, des plans d’action intègrent des leviers ciblés : maintien des prairies, PSE, baux ruraux environnementaux, soutien aux cultures à bas niveau d’intrants. Une ingénierie métropolitaine dédiée est également déployée pour soutenir les agriculteurs dans la recherche de subventions. 

 

Un sentiment d’impuissance face au manque de soutien financier et réglementaire 

En dépit de ces outils, le cadre existant semble traduire un échec et a minima un brouillage des objectifs. Si Martin Gutton rappelle que les PSE avaient vocation à préfigurer une mutation des aides de la politique agricole commune et que les mesures d’accompagnement financées des agences de l’eau peuvent faciliter par la suite, l’imposition de mesures réglementaires plus strictes, lesdites suites se font attendre et les moyens d’accompagnement sont restreints. 

Les élus locaux déplorent ainsi une incohérence dans les objectifs, voire une forme d’impuissance face à l’absence de cap clair et de leviers. Pour Christian Grancher, vice-président de la Communauté urbaine Le Havre Seine métropole et coprésident de la commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine, « la collectivité a toutes les responsabilités et les obligations mais n’a pas forcément les outils pour protéger la ressource en eau » pointant les millions d’euros dépensés pour garantir la potabilité des eaux et les ponctions opérées sans régulation adaptée dans les nappes phréatiques. Un tel constat est partagé par Saint-Etienne métropole évoquant le paradoxe entre une demande très forte de soutien de la part des producteurs et productrices et les lourdeurs dans la mise en place des PSE. Ces limites sont également observées par Jérémy Ditner, président de Bio en Grand Est et agriculteur en Alsace, représentant de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) qui bénéficie de l’expérience des territoires bio-pilotes mais également du Dialogue territorial Captages prioritaires et lutte contre les pollutions diffuses. Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris, coprésidente de la commission, invite à une approche globale articulant l’approche par les débouchés, le soutien financier et le levier législatif et réglementaire : le volontarisme des élus locaux est impératif mais ne peut trouver sa pleine efficacité que dans un écosystème plus soutenant et cohérent à l’échelle nationale et européenne. 

 Il arrive en effet encore fréquemment que le partenariat Etat-territoires ne soit pas au rendez-vous lorsqu’il s’agit de poser une trajectoire de transformation des pratiques. Au niveau européen par ailleurs, Eau de Paris ne bénéficie d’aucun soutien malgré l’accord de la Commission européenne sur le dispositif. Le système actuel est générateur de fragilité : pour toucher un PSE, il faut renoncer aux autres aides pour les producteurs bio. Les dispositifs de soutien au maintien par ailleurs essentiels sont absents. Or toutes les collectivités n’ont pas les moyens de compenser la perte des aides et l’absence d’outils réglementaires tels l’interdiction des produits chimiques de synthèse sur les aires d’alimentation de captage.  

 

 Approche par les coûts / approche par le droit – une multiplication des initiatives citoyennes et transpartisanes visant à restructurer les systèmes alimentaires 
 

Une approche par les coûts qui monte en puissance dans un contexte de raréfaction des financements publics : En octobre 2024, le groupe de travail santé environnementale coanimé par Françoise Schaetzel, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, revenait sur le rapport paru en 2024, « l’injuste prix de notre alimentation », en présence de Marie Drique (Secours Catholique) et Christophe Alliot (Le Basic). Sur 48,3 Mds d’€ de soutien public en 2021, plus de 80% entretiennent une logique de course aux volumes, qui va de pair avec la standardisation des matières premières et une pression sur les prix payés aux agriculteurs. Les coûts en santé humaine et environnementale sont également financés de manière curative par la puissance publique : + 160% de diabétiques en 20 ans, 11,7 milliards d’euros pour les maladies des consommateurs, 675 millions d’euros pour les maladies professionnelles – troubles musculosquelettiques et exposition aux pesticides – auxquels ajouter les frais massifs de dépollution des eaux. Les commanditaires du rapport invitent donc à une démarche globale de réorientation des financements.  

 Une approche par le droit, l’irruption de nouveaux modèles issus de la société civile et la revendication du droit à l’alimentation : Sous l’influence du droit international, une série d’initiatives engagées par la société civile invitent à prendre le droit à l’alimentation comme boussole en vue d’engager une mutation de l’ensemble des règlements et lois, à l’image des mesures prises par la Suisse (canton de Genève) ou le Brésil. Une résolution transpartisane a ainsi été adoptée en France le 19 février par plus d’une centaine de parlementaires à l’Assemblée nationale. Un colloque, introduit par une déclaration des personnes concernées, y réunissait le même jour juristes, élus locaux et tissu associatif à l’initiative notamment d’Action contre la Faim, militant historiquement pour le déploiement en France des approches par le droit.  

 A la charnière de ces deux mouvements, approche par le droit, approche par les coûts, les modèles de sécurité sociale de l’alimentation et d’ordonnance verte essaiment aujourd’hui et donnent lieu également à des initiatives parlementaires. 

 

Une position constante des territoires urbains rappelées dans les plaidoyers de France urbaine depuis plusieurs années 

 

France urbaine s’engage depuis plusieurs années en vue de soutenir la transformation des pratiques. La position des territoires urbains pleinement au fait des articulations urbain, périurbain, rural, des enjeux de négociation, solidarité et réciprocité autour de la ressource (eau, air, sol…) mais également des risques forts pesant sur la responsabilité des élus locaux en cas d’inaction, appelle de manière constante à une position plus soutenante de l’Etat et de l’Europe : assouplissement de la commande publique sous critère de durabilité, mise en place et montée en puissance des aides au maintien, PSE et mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Dans un courrier à la ministre de l’agriculture daté du 3 février, resté à ce jour sans réponse, la présidente de France urbaine reprenant les positions historiques de l’association, alertait en ces termes “La continuité et la lisibilité sur les financements des filières durables, en particulier l’agriculture biologique, est l’objet de préoccupations, de même que les financements consacrés aux paiements pour services environnementaux et mesures agroenvironnementales et climatiques. Ceux-ci constituent un enjeu majeur, en particulier mais pas exclusivement autour des bassins de captage. L’articulation entre politiques alimentaires et agricoles et gestion de l’eau est en effet au cœur de nos préoccupations. 

 

Références

 

L’injuste prix de notre alimentation, Secours Catholique – Caritas France, réseau CIVAM, Solidarité Paysans, Fédération française des Diabétiques – 2024 

 

Résolution visant à la reconnaissance du droit à l’alimentation et à l’adoption d’une loi-cadre pour le droit à l’alimentation – 2025 

 

Proposition de loi d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation – 2024 

 

Le droit à l’alimentation pour une transition juste vers des systèmes alimentaires durables – 2023 

 

Le droit à l’alimentation à Genève – 2024  

 

Retrouvez les positions de France urbaine 

 

Quelle agriculture demain ? 17 propositions pour développer des modèles agricoles résilients et durables – 2023 

 

Libérer la commande publique – 2024 

 

Crise du système de santé, la refondation passe aussi par les territoires – 2023 

 

Déclaration de Montpellier – 2024 

 

Retrouvez les initiatives de nos membres 

 

UNE ALIMENTATION DURABLE ET LOCALE POUR SOUTENIR LA MUTATION DES PRATIQUES AGRICOLES  – retour sur Rennes et La Rochelle – 2024 

 

L’ordonnance verte – un modèle qui monte en puissance – Eurométropole et ville de Strasbourg, 2024 

 

Eau de Paris et les paiements pour services environnementaux – 2022 

 

Métropole européenne de Lille – les gardiennes de l’eau – 2024 

 

Caisse commune – l’apport de la ville de Montpellier – 2024 

 

 

 

 

 

Marion Tanniou
Conseillère Solidarités et cohésion sociale m.tanniou@franceurbaine.org
Maëva Fleytoux
Chargée de mission Transition écologique m.fleytoux@franceurbaine.org
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