Actualité Stratégies alimentaires territoriales

LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE : QUEL ATTERRISSAGE DES NOUVEAUX MODÈLES ?

La Commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine s’implique depuis maintenant plusieurs années dans le partage de pratiques en matière de lutte contre la précarité alimentaire. À l’heure où la notion de “sécurité sociale de l’alimentation” tend à se diffuser fortement dans le débat public, focus sur l’atterrissage de telles initiatives. 

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En 2023, lors d’un webinaire dédié à la lutte contre la précarité alimentaire, la variété des initiatives avait été rappelée. Ces initiatives vont du soutien au secteur de l’aide alimentaire (coordination, renforcement de la qualité, outils logistiques, participation des personnes) au déploiement de modèles dits “transformateurs” (caisses communes notamment).  

Des initiatives visant à améliorer la qualité de l’aide alimentaire

Sur le premier volet, Audrey Pulvar, coprésidente de la Commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine et adjointe à la maire de Paris, chargée de l’Alimentation durable, de l’Agriculture et des Circuits courts de proximité, est ainsi revenue sur les actions menées par la Ville, en partenariat avec Vif! Circuits Courts et la Fondation de l’Armée du Salut, en vue de financer des denrées de qualité, à destination de l’aide alimentaire. Une telle initiative permet d’aborder un public particulièrement large de 10 000 bénéficiaires chaque semaine. Philippe Lemanceau, vice-président de Dijon métropole, délégué à la Transition alimentaire, a mis en avant une plateforme en ligne, facilitant l’acheminement des denrées notamment issues de la ramasse, à destination des associations de solidarité. 

Caisse commune de Montpellier, quels premiers résultats ?

Sur le second volet, Marie Massart, adjointe au maire de Montpellier, déléguée à la Politique alimentaire et à l’Agriculture urbaine, a fait état des premiers résultats de la caisse commune de l’alimentation. Ce dispositif est financé à 60 % par  cotisations et s’appuie une gouvernance citoyenne et le versement à chaque participant de 100 € en monnaie locale. Ces 100 € ne peuvent être dépensés que dans les circuits conventionnés. Les critères sont définis par un groupe de participants. Une cinquantaine de circuits ont été ainsi conventionnés, dont une trentaine en vente directe.

Après une première phase d’expérimentation, un réel changement est observé dans les habitudes alimentaires. Les publics les plus précaires se rendent désormais dans des commerces où ils ne se rendaient pas en raison des coûts, des types de produits vendus, mais également de phénomènes d’autocensure. Ils peuvent être amenés à choisir certains aliments dont le coût peut être en temps normal prohibitif (viande et poisson de qualité, asperges…). La demande sociale mute et certains collectifs se sentent également fondés à solliciter une réorientation du paysage alimentaire en demandant l’implantation d’enseignes ou d’espaces d’approvisionnement lorsqu’ils font défaut dans un quartier.

La dimension d’intégration et de citoyenneté est particulièrement forte. Des publics en retrait des mécanismes de participation classiques sont pleinement valorisés dans leurs compétences – culinaires notamment – et dans leur légitimité à s’exprimer et contribuer à la construction du dispositif. Du côté des commerçants, le conventionnement amène à une réflexion sur les pratiques et la volonté d’aller plus loin en termes d’exigences sociales, environnementales ou encore de gouvernance. Des réflexions peuvent être engagées avec les mutuelles ou les comités d’entreprises pour identifier les modalités d’un élargissement de la démarche. 

Des initiatives qui se multiplient

Les actions assimilées à une “sécurité sociale de l’alimentation” s’appuient sur des traits communs, une gouvernance territoriale et citoyenne et un système de cotisations / versements. Plusieurs collectivités s’engagent sur ces actions qui nécessitent un investissement financier et en ingénierie considérable : Bordeaux ou Paris à l’échelle d’un arrondissement tandis que le projet est à l’étude sur d’autres territoires.

Un peu différente dans ses modalités, mais faisant écho toutefois aux missions de prévention assumées par l’assurance maladie, l’ordonnance verte mise en place sur la Ville de Strasbourg constitue également une initiative particulièrement marquante en vue de lutter contre les perturbateurs endocriniens. De manière hebdomadaire, des paniers de fruits et légumes bio sont ainsi distribuées aux femmes enceintes, moyennant une participation assise sur le quotient familial. Un tel dispositif a atteint 800 bénéficiaires dès la première année de sa mise en place. 

Des limites à lever

Plusieurs limites sont pointées :

  • limites juridiques,
  • risque de gestion transparente,
  • cadre juridique inadapté pour faciliter l’action des mutuelles,
  • articulation entre subvention,
  • aide individuelle,
  • coût financier.

Sur le premier point, les collectivités engagées ont dépassé ces enjeux en réexaminant les modalités de subventionnement ou de fléchage des aides. Sur le second point, Marie Massart rappelle que les bénéfices sociaux et territoriaux jugés massifs, ne sont pas comptabilisés dans le coût global, ce qui peut amener une vision tronquée des coûts réels.

Philippe Lemanceau souligne l’absence, de manière plus générale, de prise en compte dans ces actions des coûts évités en matière de santé, pointant les études de la FAO (agence spécialisée des Nations Unies qui lutte contre la faim) sur les coûts cachés de l’alimentation et invite à comptabiliser ces coûts pour une approche transparente et en coût complet des politiques de prévention. Un futur chantier à engager avec les autres Commission de France urbaine, notamment Santé et Transition écologique. 

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