VERS UN RÉARMEMENT DÉMOCRATIQUE ?
Le 9 février dernier, France urbaine a invité les membres de son groupe projet dédié à la démocratie participative, dans le cadre d’une nouvelle réunion tournée à la fois vers les enjeux d’amélioration de la participation citoyenne, mais également autour de ceux en lien avec l’usage des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle.
Retour sur une session d’échanges particulièrement intéressants et ô combien d’actualité, tant au regard des réflexions sur le positionnement du débat public, des initiatives parlementaires sur le statut de l’élu local, d’une éventuelle nouvelles étape de la décentralisation ou encore des élections européennes et municipales à venir.
Pour beaucoup, il est urgent de repenser la participation citoyenne à toutes les échelles et d’enclencher un virage démocratique
Dans une première partie de réunion, Manon Loisel, consultante en politique publique territoriale et auteur du livre “Pour en finir avec la démocratie participative“, co-écrit avec Nicolas Rio, a présenté devant une cinquantaine de participants une critique du rôle et du fonctionnement de la participation citoyenne. Ces observations, partagées par la plupart des membres du groupe projet éponyme, sont d’ailleurs assorties de pistes intéressantes en mesure d’initier une plus grande démocratisation de l’action publique.
En effet, désirant partager sa réflexion sur les limites et les enjeux de l’architecture institutionnelle actuelle, l’auteure a rappelé qu’il était important d’évaluer et repenser le cadre actuel d’intervention des collectivités, ainsi que des espaces délibératifs existants plutôt que d’envisager l’arrêt total de la démocratie participative.
En l’occurrence, relevons que le problème ici est beaucoup plus structurel qu’il n’y parait dans un contexte de (re)centralisation du pouvoir tant au niveau national que local. Il existerait alors deux principales impasses :
- le caractère anti redistributif de notre démocratie,
- la faible portée qui est accordée aux débats citoyens, du fait d’une absence de lien décisionnel avec les organes délibérants des collectivités : “Le système actuel n’est pas en capacité d’atténuer les asymétries qui existent entre les citoyens dans leur capacité à faire entendre leur voix et à faire valoir leurs droits”, a indiqué la chercheuse, en accord avec de nombreux élus et techniciens connectés.
À la lumière des expériences malheureuses (le grand débat national ou de la convention citoyenne pour le climat), les auteurs invitent ainsi à sortir de la focalisation sur le “comment” participer, pour se poser les questions du “pourquoi” et du “qui” doit ou peut participer, et à réinterroger le rôle des citoyens dans la construction, le suivi et l’évaluation de l’action publique. En ce sens et face aux défis contemporains (mobilités, gestion des ressources, vie sociale, etc.), les élus des territoires urbains endosseraient un rôle particulier : celui de médiateurs et de diplomates.
La réunion du groupe projet fut également l’occasion de rappeler la richesse des dispositifs mis en œuvre par les collectivités depuis plusieurs dizaines d’années, voire de l’importance de mobiliser l’éducation populaire en la matière. Différentes grandes villes et agglomérations ont évoqué les difficultés à faire entendre les voix des citoyens, à faire évoluer les pratiques administratives et politiques, à trouver le bon format et le langage adéquat, à donner suite aux propositions des habitants usagers, à gérer les contraintes réglementaires et à partager le pouvoir décisionnel. Ils ont également exprimé leur intérêt pour certaines propositions comme le moratoire sur les outils de la démocratie participative, les auditions de citoyens, les débats mouvants ou le développement de “constitution municipale”.
Un défi collectif tant pour les élus, les usagers que l’administration
Il n’est plus rare d’entendre la frustration d’acteurs à la participation citoyenne tant il est paradoxal de constater un perfectionnement des collectivités (organisation, méthode, investissement) tandis que la démocratie participative peut être vécue comme une injonction bureaucratique finalement peu suivie d’effet dans la vie des habitants.
Au-delà, les espaces participatifs sont perçus comme source d’inégalités. Les auteurs du livre évoquent alors la “logique de présentocratie” qui donne un avantage aux personnes qui sont présentes, mobilisées et qui ont les ressources pour participer (“toujours les mêmes”). Dans ce contexte, il est donc proposé de redistribuer l’écoute en donnant la priorité aux témoignages et aux perceptions des habitants, dans le cadre d’une approche davantage qualitative que quantitative, en parallèle des auditions d’experts.
Les riches échanges qui se sont tenus ont démontré la nécessité de pouvoir requestionner la place et le rôle du débat politique actuel : “D’un côté, les collectivités et notamment les métropoles, mettent en œuvre des dispositifs de démocratie participative qui sont sans cesse plus performants, raffinés et intelligents. Et de l’autre côté, un impensé total sur la façon dont on va faire travailler ensemble nos élus et les faire débattre et donc il y a une sorte de décalage”.
Par ailleurs, il convient de pouvoir davantage visibiliser les réflexions de l’administration et lui permettre de débattre au sein des organisations. Voilà une problématique qui n’est pas sans rappeler l’importance de pouvoir donner plus de place au sein des politiques publiques à l’expertise d’usage et l’expertise technique.
Manon Loisel et Nicolas Rio proposent ainsi de modifier la fabrique quotidienne de l’action publique et pallier au brouillage politico-technique qui peut parfois exister, en mettant en place des Comité de politisation (COPOL) où “les élus discutent d’orientations politiques et derrière chacun des sujets, les agents discutent des marges de manœuvre et de l’expertise technique, de la faisabilité et de la pertinence technique des orientations et éventuellement avec des experts ou des citoyens triés sur le sur le volet, sur une logique redistributive permettant d’apporter des contrepoints”.
En fin de réunion, Pierre Jannin, conseiller municipal de la Ville de Rennes, délégué au numérique et Séverine Saint-Martin, adjointe au maire de la Ville de Montpellier, déléguée au renouveau démocratique et à l’innovation sociale, sont revenus sur leurs expériences respectives en matière de démarches participatives autour de la question du numérique et de l’Intelligence Artificielle (IA) dans leurs territoires.
Ces témoignages démontrent que la participation citoyenne est aujourd’hui au cœur d’enjeux protéiformes et transversaux. En toute humilité et sur la base de ce récit plein d’enthousiasme et qui donne envie d’agir, France urbaine envisage de réunir à nouveau ce groupe projet d’ici la fin du premier semestre avec des experts pour poursuivre les réflexions.
En résumé
- Le contexte et l’objectif de la réunion du groupe projet de France urbaine : cette réunion visait à échanger sur les enjeux et les pistes d’amélioration de la participation citoyenne, ainsi que sur le rôle des nouvelles technologies, comme l’Intelligence Artificielle (IA).
- La démocratie participative vue par Manon Loisel : l’auteure du livre “Pour en finir avec la démocratie participative” a exposé les limites et les impasses du système actuel de participation citoyenne, qui ne permet pas de réduire les inégalités ni de lier les débats citoyens aux décisions politiques. Elle a proposé des pistes pour renforcer la démocratisation de l’action publique.
- Les témoignages des élus de Rennes et de Montpellier : Pierre Jannin, conseiller municipal de Rennes, et Séverine Saint-Martin, adjointe au maire de Montpellier, ont partagé leurs expériences respectives en matière de démarches participatives autour du numérique et de l’intelligence artificielle. Ils ont montré que la participation citoyenne est au cœur de défis transversaux et variés.