STATUT DE L’ÉLU : LE SÉNAT CONFORTE LES AVANCÉES ADOPTÉES PAR LES DÉPUTÉS SUR LES CONFLITS D’INTERÊTS
Alors que le Sénat examinait en deuxième lecture et a adopté le 22 octobre, à l’unanimité, la proposition de loi sénatoriale portant création d’un statut de l’élu local, les dispositions du texte relatives à la prise illégale d’intérêts et aux conflits d’intérêts ont suscité d’intenses débats. La mobilisation coordonnée des associations d’élus, à l’initiative de France urbaine, dans un dialogue en bonne intelligence avec le Gouvernement et le Sénat, permet finalement d’aboutir à un texte conforté sur ce point.
D’importantes avancées adoptées par les députés cet été
Comme France urbaine s’en était félicitée, la totalité des propositions qu’elle avait pu formuler avec les autres associations d’élus avait reçu une écoute attentive de la part des rapporteurs du texte qui avait introduit les dispositions suivantes dans le texte adopté, à ses articles 18, 18 bis A et 18 bis :
- à l’article L. 1111-6 du CGCT, la suppression du régime réservé aux structures dans lesquels l’élu siège « en application de la loi», à la lumière des lourdes difficultés d’application de cette disposition, pour la remplacer par un régime beaucoup plus simple et logique, qui distingue l’élu agissant pour son intérêt privé et personnel de l’élu qui intervient en représentation de la collectivité dans l’organisme « satellite », qu’il soit de droit public ou privé, et est dûment désigné par l’organe délibérant à cet effet. Dans ce dernier cas, l’élu ne serait plus soumis à l’obligation de se déporter sauf s’il bénéficie d’une indemnisation au titre de cette représentation et sauf s’il s’agit de participer « aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique » ou aux commissions d’appel d’offres (CAO) dans un but évident de garantir matériellement l’égalité de traitement et la transparence ;
- au même article, la suppression de toute obligation de déport en cas d’exercice de deux mandats dans deux collectivités différentes, sur une affaire intéressant l’autre collectivité ;
- à l’article L. 2131‑11 du CGCT, la suppression, en cas d’obligation de déport, de l’obligation de sortie de salle, en précisant, selon une rédaction proposée par France urbaine, qu’ « un membre du conseil ne peut être considéré comme ayant pris part à la délibération du seul fait de sa présence à la réunion de l’organe délibérant » ;
- à l’article 432-12 du code pénal, qui définit le délit de prise illégale d’intérêt, l’exclusion des intérêts publics et l’intégration deux préconisations du rapport Vigouroux consistant à remplacer « de nature à compromettre» par « compromettant » et à écarter du champ du délit toute situation dans laquelle « la personne […] a agi en vue de répondre à un motif impérieux d’intérêt général » ;
- au même article, l’introduction d’un renvoi vers les dispositions du CGCT, de façon à faire converger le régime de la répression pénale avec celui de la régularité administrative et à sécuriser ainsi les élus en mettant fin à toute divergence possible entre l’approche du juge pénal de celle du juge administratif, apportant ainsi une protection complète.
Reculs en commission
C’est avec une certaine stupéfaction que les associations d’élus ont pris connaissance de la version du texte adopté en seconde lecture par les sénateurs réunis en commission.
Sur le volet pénal, si – au rang des évolutions positives – la commission des Lois a retenu une définition potentiellement plus tranchée, impliquant une atteinte effective, du délit de prise illégale intérêt, en adoptant le terme « altérant » plutôt que « compromettant », les sénateurs ont supprimé les apports du rapport Vigouroux et, surtout, tout renvoi entre le code pénal et la CGCT.
Sur le volet administratif, et de façon beaucoup plus problématique encore, le texte adopté était expurgé de toutes les modifications essentielles obtenues à l’Assemblée nationale de la rédaction de l’article L. 1111-6 du CGCT avec, en particulier, le rétablissement de l’expression « en application de la loi », au cœur de difficultés d’application depuis plus de trois ans…
Mobilisation unanime des associations d’élus
Sous la coordination de France urbaine, l’ensemble des huit principales associations d’élus – l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF), l’Association des maires ruraux de France (AMRF), l’Association des petites villes de France (APVF), Départements de France, France urbaine, Intercommunalités de France, Régions de France et Villes de France – ont pris la plume pour s’émouvoir auprès de Gérard Larcher, président du Sénat, de ces reculs.
Dans un courrier du 20 datés octobre, signé pour France urbaine par sa présidente, Johanna Rolland, ces associations regrettent que « les amendements adoptés en commission par le Sénat en seconde lecture aboutissent à supprimer ce qu’[elles] pensaient être des acquis de [leur] travail collégial sur ces questions » et alertent le président de la Chambre haute de ce que « si la proposition de loi devait être adoptée dans les termes du texte issu de l’examen sénatorial en commission, […] il s’agirait alors d’un rendez-vous manqué, qui affaiblirait la portée générale et l’ambition du texte dans sa globalité. »
Elles concluent leur interpellation en exprimant leur attente que « le Sénat, chambre des territoires, […] puisse, fort de l’écoute de l’expérience des élus locaux, rétablir les dispositions modifiées pour donner enfin à la prévention de la prise illégale d’intérêts le cadre législatif qu’elle mérite ».
Un texte renforcé à l’issue de la séance publique
Un message manifestement entendu à la fois par la ministre Françoise Gatel et les rapporteurs du texte au Sénat, Jacqueline Eustache-Brinio (LR – Val-d’Oise), Anne-Sophie Patru (UC – Ille-et-Vilaine) et Eric Kerrouche (SER – Landes) puisque, au terme d’un dialogue intense et constructif, le texte a fait l’objet de deux amendements adoptés en séance publique qui non seulement rétablissent l’essentiel des apports votés à l’Assemblée mais viennent incontestablement contribuer à améliorer la rédaction du texte.
Ainsi, sur le volet pénal, les sénateurs ont-ils réintroduit un apport du rapport Vigouroux en en précisant utilement la portée (« lorsque la personne […] ne pouvait agir autrement en vue de répondre à un motif impérieux d’intérêt général »).
Ils ont également intégré à l’article 18 du texte une disposition (« Ne peut constituer un intérêt au sens du présent article, un intérêt public ou tout intérêt dont la prise en compte est exclue par la loi. ») censée, par la formule « par la loi », opérer un renvoi du code pénal vers le CCGT et donc satisfaire la demande de coordination exprimée entre les deux codes. France urbaine restera toutefois attentive à ce que l’interprétation de cette formule puisse être sécurisée et confortée le cas échéant par une instruction aux parquets.
À ce même article, on soulignera l’amélioration essentielle apportée consistant à consacrer une intentionnalité dans la définition de la prise illégale d’intérêt, au moyen de l’expression « en connaissance de cause », qui rejoint ainsi des hypothèses d’évolution du cadre juridique que les associations d’élus avaient pu étudier et porter.
Enfin, s’agissant de l’article L.1111-6 du CGCT, c’est un rétablissement consolidé qu’a entériné le Sénat en réintroduisant, selon une rédaction ici ou là améliorée, l’ambition du texte voté par les députés.
Exception notable à ce rétablissement : les sénateurs n’ont pas souhaité retenir une protection complète de l’élu, allant jusqu’à la signature « au nom de la collectivité ou du groupement, d’un acte intéressant la personne morale concernée », selon la formule proposée par les associations d’élus et adoptée par les députés. En pratique, cela impliquerait que la présomption d’absence de conflit d’intérêts porte bien sur le vote des délibérations concernées mais s’arrête à leur exécution et à la signature de tout acte en application de celle-ci ou par ailleurs. Une configuration quelque peu singulière qui impliquera d’organiser le déport au travers des délégations de fonctions aux élus, y compris dans l’exécution d’une délibération que l’élu concerné aura pu voter en toute légalité. Mais la rédaction adoptée n’en constitue pas moins une avancée en levant les lourdes difficultés qui pesaient sur l’organisation des séances de l’assemblée délibérante.
À présent, ces évolutions devront être entérinées par les députés, soit définitivement au terme d’un vote conforme, soit – sinon – à l’issue d’une commission mixte paritaire (CMP) qui devra suivre le vote de l’Assemblée.