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RESSOURCES EN EAU : FACE À DES CONFLITS D’USAGE CROISSANTS, LES TERRITOIRES URBAINS PENSENT DE NOUVEAUX ESPACES DE RÉGULATION ET DE COOPÉRATIONS

Dans le cadre d’un atelier dédié aux conflits d’usages lors des Journées nationales de France urbaine en septembre dernier, trois experts reviennent sur les enjeux liés à la ressource en eau, son lien avec l’agriculture et l’alimentation, ainsi que le rôle clé que peuvent jouer les collectivités dans l’apaisement des tensions.

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Constater l’urgence écologique et la hauteur du défi

D’ici 2025, un tiers de la population mondiale vivra une situation de stress hydrique. La France n’est pas épargnée. Face à des usages concurrents (agriculture, industrie, consommation des ménages…) et des ressources plus limitées, les tensions s’accroissent. Les mobilisations autour des mégabassines, les préoccupations croissantes autour de la qualité de l’eau et les coupures plus fréquentes en témoignent. Pour autant, les annonces à l’occasion de la présentation du plan eau, dont les moyens ne sont pas pleinement satisfaisants, et le contenu envisagé du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, ne paraissent pas épuiser le sujet. Marie Pettenati, hydrogéologue, hydrogéochimiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) rappelle les mutations rapides apportées au cycle de l’eau dans un contexte de changement climatique : phénomène de salinisation des eaux, déséquilibres des milieux aquatiques de surface, multiplication des phénomènes de stress hydrique. Deux voies sont mises en avant : en priorité la sobriété, en second lieu, différents dispositifs permettant la recharge des aquifères. Ces outils nécessitent systématiquement un important travail de partenariat avec les collectivités, ainsi que le déploiement d’outils d’observation et d’aide à la décision.

Penser une approche interacteurs

La coopération territoriale apparaît en effet au cœur de nombreuses initiatives. Il s’agit d’un impératif et d’une réelle responsabilité des territoires urbains. Dans cette optique, c’est par la mutation des pratiques de consommation, et le soutien à la transformation de l’agriculture notamment, que l’on peut espérer faire évoluer les pratiques de production dans le sens d’une plus grande sobriété et d’une meilleure qualité de la ressource en eau. Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts, coprésidente de la commission « stratégie alimentaire territoriale » de France urbaine, rappelle ainsi l’expérience d’Eaux de Paris, au travers de divers dispositifs tels que le bail rural environnemental, depuis 2020, avec des agriculteurs situés sur les zones de captage d’eau de Paris. Une centaine d’agriculteurs sont accompagnés via paiement des services environnementaux pour évoluer vers des méthodes agricoles plus durables.

Le plan alimentation durable de la ville de Paris promeut les méthodes agricoles les plus respectueuses de l’environnement, préserve la qualité des sols, la qualité de l’air, les nappes phréatiques. Pour faire évoluer les modes de consommation, ce plan prévoit de passer d’abord à 2 repas végétariens, puis à une alternative végétarienne quotidienne. Aujourd’hui, Paris est à 54% de bio ou durable dans sa restauration collective. Pour maximiser l’impact de la restauration collective publique sur les pratiques agricoles, Audrey Pulvar rappelle toutefois le besoin d’évolution du cadre juridique des marchés publics aujourd’hui trop contraignants, enjeu dont se saisit activement France urbaine dans la perspective du futur règlement européen sur les systèmes alimentaires durables.

La collectivité Eau du Bassin rennais, productrice d’eau potable sur le bassin de Rennes au bénéfice de 550 000 habitants, 75 communes, 8 EPCI, est à l’initiative d’une démarche innovante en la matière. Son vice-président, Ludovic Brossard, également adjoint à la ville de Rennes, rappelle les principes de la démarche Terres de sources : réunies au sein d’un groupement d’achats, les collectivités passent un marché de prestation de services qui leur permet d’acheter des produits issus des exploitations agricoles qui assument une fonction de préservation de la qualité de l’eau autour des bassins de captage. Terres de sources va travailler également auprès des collectivités pour les accompagner sur des solutions techniques (toilettes sèches, récupérateurs d’eau…) permettant d’économiser l’eau.

Au-delà de l’alimentation, une approche systémique de la gestion des ressources et une mutation globale des usages

Dans le plan local de l’habitat de Rennes Métropole, tous les logements neufs adoptent le référentiel le plus ambitieux possible sur la consommation de l’eau. Certaines problématiques autour de la réutilisation des eaux usées traitées avec les ARS, devront être dénouées par un travail réglementaire ou législatif. La ressource en eau exige en effet une prise en compte multi-acteurs et multisectorielle mobilisant particuliers, agriculteurs, mais également les entreprises de l’agroalimentaire. A titre d’exemple, sur la métropole de Rennes, près de 28 000 emplois sont concernés, d’où le travail mené avec les CCI pour les accompagner sur un diagnostic, mais aussi sur des financements.

Un impératif de délibération citoyenne, des espaces et territoires de gouvernance dédiés

Audrey Pulvar souligne, face à des transformations profondes et radicales, l’impératif démocratique et le rôle clé d’une approche concertée et délibérative. Delphine Michel, Vice-présidente du Grand Nancy, représentante de France urbaine au Conseil national de l’eau, indique la nécessité d’une collaboration, d’un équilibre et d’un projet commun entre espaces ruraux et métropoles. Dans son territoire, le comité de bassin joue parfaitement ce rôle de gouvernance partagée entre les territoires et les différents acteurs concernés par la ressource en eau. Cet espace de délibération démocratique est à mettre en lien avec la ressource à partager. Pour Ludovic Brossard, la réflexion doit se penser à l’échelle du territoire hydrographique. Les territoires doivent être légitimés et renforcés pour mettre en mouvement les citoyens et les acteurs économiques, dont il est constaté qu’ils sont – dès lors que de réels espaces de débat démocratiques sont ouverts – prêts à effectuer cette transformation.

Pour autant, au-delà de cet enjeu de délibération et d’accompagnement de proximité, des inflexions nationales claires, via une planification nationale assise sur des moyens et des objectifs partagés, et une réorientation de la politique agricole commune (PAC), dans un sens plus vertueux, constituent des enjeux prioritaires.

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