POUR DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES LOCAUX, DURABLES ET SOLIDAIRES RETOUR SUR LE WEBINAIRE DU 23 AVRIL SUR COMMANDE PUBLIQUE ET ALIMENTATION
Le contexte géopolitique fragile (guerre en Ukraine, hausse des tarifs douaniers) va-t-il générer un renoncement aux objectifs du Green Deal ou peut-il permettre d’accélérer ? Quelles suites attendre de la révision des directives européennes relative aux marchés publics ? Quelles orientations du nouveau conseil européen de l’alimentation ? Comment faire levier et à quelle échelle ? Co-organisé par France Urbaine, Eating City, Agores, Manger Demain, le centre Lascaux sur les transitions, Mouans Sartoux, Organic Cities et ICLEI, un webinaire d’étape revenait le 23 avril sur les campagnes en cours pour faire de la commande publique un levier de transformation des systèmes alimentaires.

Un récit européen puissant et mobilisateur qui monte en puissance depuis la déclaration de Bruxelles
« Depuis des années, partout en Europe, les collectivités locales et parmi elles les biorégions et biovilles œuvrent pour faire des cantines publiques un levier pour lutter contre la précarité alimentaire, réduire les inégalités sociales, stimuler le développement économique, soutenir une agriculture durable, augmenter l’approvisionnement en produits biologiques, protéger l’environnement et promouvoir des régimes alimentaires plus sains. »
C’est en ces termes que débutait la déclaration de Bruxelles de novembre 2024 par laquelle ICLEI, IFOAM, Organic Cities, la campagne Buy Better Food, Biodinamica ainsi que les partenaires de la campagne libérer la commande publique France Urbaine, Eating City, Agores, Manger Demain, le centre Lascaux sur les transitions, les villes de Bruxelles et Mouans Sartoux invitaient l’Union européenne à prendre en considération deux enjeux :
- Établir des critères minimaux de durabilité au sein d’un cadre européen harmonisé encourageant les collectivités locales à adopter des choix plus durables.
- Simplifier la procédure d’achat et offrir aux acteurs publics le choix de la procédure la plus adaptée en vue de renforcer les circuits courts de proximité contribuant à des systèmes alimentaires justes, sains et durables.
Un volontarisme remarquable des acteurs locaux en dépit de contraintes persistantes
Une démarche engagée au sein du territoire de Liège : Davide Arcadipane revient sur la stratégie engagée depuis plusieurs années en vue de promouvoir un approvisionnement durable et local. Dans ce territoire qui produit 4000 repas par jour dont 3000 pour les écoles, la restauration collective publique contribue à structurer des débouchés pour une cinquantaine de fermes à l’échelle de la province et une centaine à l’échelle de la région wallonne. Les flux économiques ainsi générés reviennent ainsi sur le territoire avec un véritable effet multiplicateur. La mise en place d’un outil local de transformation favorise également l’approvisionnement en proximité. Le levier privilégié reste la procédure négociée sans publication, la plus adaptée aux besoins et au profil des producteurs. On vise en effet des procédures où les producteurs ne sont pas mis en concurrence avec des multinationales ou des grossistes. Une telle approche est contraignante, au vu des limites inévitables liées aux seuils des marchés publics et aux volumes d’achats concernés. Cette contrainte empêche par exemple, d’intégrer les repas servis dans les maisons de repos ou hôpitaux. La difficulté d’introduction de critères d’origine géographique est également pointée. Une telle introduction reste délicate et conduit à de véritables paradoxes : l’aide de la région wallonne à la démarche est conditionnée au soutien aux productions locales quand le cadre juridique en retour reste peu facilitant pour répondre à un tel objectif. A l’échelle nationale enfin et à la différence d’autres Etats membres, la notion de circuit court n’est pas définie. Enfin, comme dans de nombreux Etats européens, dans un contexte complexe sur les finances publics, les collectivités sont confrontées au dilemme de mettre en place un travail qualitatif et de revaloriser les métiers et les produits tout en répondant aux baisses budgétaires.
Qualité des approvisionnements et sécurité alimentaire, double priorité des territoires bordant la Baltique : Jennifer Avci fondatrice de Sustainable Gastro rappelle qu’entre 2022 et 2024, 42 établissements scolaires au sein du Comté de Võru (Estonie) sont engagés dans une démarche visant à accroître le volume de produits biologiques en circuits courts de proximité. En lien étroit avec les producteurs locaux, un centre logistique est en voie d’être mis en place pour stocker et conditionner les aliments. Le Ministère de l’agriculture en Lettonie a mis en place une task force dite « Farm to school » pour déployer quatre centres de cette nature en Lettonie
En France et en Europe, des paradoxes persistants. Gilles Pérole, porte-parole de l’Association des maires de France et adjoint au maire de Mouans Sartoux revient sur rappelle que de nombreuses villes sont engagées, de grandes villes comme Paris, Toulouse, Milan, Copenhague Liège mais aussi des petites villes. A Mouans Sartoux, plusieurs études d’impact démontrent qu’une restauration collective de qualité transforme les habitudes des habitants. Selon Gilles Pérole, en dépit des solutions possibles en vue se tourner vers les producteurs locaux en croisant différent critères, « la réalité c’est que les agriculteurs n’ont pas le temps de répondre à ces marchés publics donc il faut des démarches beaucoup plus simplifiées pour avoir des approvisionnements directs ». L’élu pointe aussi une inégalité entre public et privé dans un système européen qui plaide pourtant pour la libre concurrence entre acteur : une collectivité peut exiger un approvisionnement local lorsqu’elle délègue sa gestion à un opérateur privé mais est entravée lorsqu’elle assure ce même service en régie. A l’échelle nationale enfin, tous les pays n’ont pas la même transcription des règles européennes. La législation relative au zéro kilomètre en Italie ou le cadre introduit en droit roumain facilitent l’introduction de critères locaux. Un tel constat invite à remobiliser les Etats pour faciliter les achats durables et locaux et à solliciter aussi un cadre européen plus harmonisé.
Un cadre européen évolutif qui se recentre sur les enjeux de compétitivité et défense et un agenda européen particulièrement fourni
Si la vision pour l’agriculture et l’alimentation publiée en février par le commissaire Hansen mentionne la commande publique, cette le discours reste centré sur la production laissant de côté les systèmes alimentaires et ne reprenant que partiellement les travaux initiés dans le cadre du dialogue stratégique pour l’avenir de l’agriculture. Une telle approche présente le risque de focaliser les efforts sur les seuls agriculteurs alerte Marta Messa secrétaire générale de Slow Food au détriment d’une vision d’ensemble des systèmes alimentaires que défend cette ONG née il y a 30 ans qui promeut dans plus de 160 pays une alimentation durable et de qualité. Slow Food au sein de l’EBAF (European Board on Agriculture and Food) qui regroupe une série d’experts auprès de la Commission, s’efforce de défendre une telle approche globale.
Un cadre financier pluriannuel attendu pour l’automne – une telle étape est clé pour identifier les priorités européennes parmi lesquelles les enjeux de sécurité et défense seront très probablement prégnants de même des enjeux de compétitivité.
Un travail mené sur la simplification de la politique agricole commune – face aux propositions qui se dessinent dont la publication est attendue début mai, Slow food alerte sur l’illusion d’une simplification qui deviendrait prétexte à la réduction des ambitions sociales et environnementales.
La stratégie sur l’eau (water resilience strategy) : face aux sécheresses et inondations qui frappent durement la plupart des Etats membres, la commission est en train de préparer une proposition. Slow Food met en garde par une approche qui se centrerait exclusivement sur la technique sans prendre en compte une réflexion plus générale y compris à titre d’exemple, l’impact du gaspillage alimentaire sur la consommation de l’eau.
La révision de la loi sur les semences est à l’ordre du jour du trilogue : des alertes sont émises sur l’impact de l’article 30 qui pourrait réduire les marges d’action notamment des petits producteurs et avoir un impact direct sur la biodiversité des espèces, ces dernières ayant subi une réduction énorme ces 60 dernières années sous l’effet notamment d’un centrage sur certaines catégories de semences soumises à traitement.
Une évaluation en cours des directives marchés publics en vue d’engager un processus de révision à compter de 2026 : une évaluation est en cours des directives relatives aux marchés publics. France urbaine est membre du groupe des parties prenantes impliquées dans ce processus aux côtés de la Commission. La loi cadre en faveur des systèmes alimentaires durables qui avait un temps été mise au travail n’apparaît plus en revanche à l’agenda rappelle Wim Debeucklaere, en revanche la DG santé poursuit l’établissement d’une liste de critères environnementaux, nutritionnels et socio-économiques bientôt soumis à consultation publique qui pourront être utilisés par les collectivités et s’inspirer largement du travail mené par la Buy Better Food Campaign rappelée par Jean-Marc Louvin (ICLEI). En vue d’en assurer la diffusion et de partager les expertises, un réseau des acheteurs européens et une plateforme d’échange d’informations. Une telle approche est notamment largement soutenue par la ville de Copenhague à la pointe de cette mise en réseau.
Quels leviers de mobilisation ?
Sécurité alimentaire, contrainte financière et compétitivité – une bataille conceptuelle sur ces objectifs au coeur de l’agenda européen. Il s’agit ainsi de défendre la compétitivité par la qualité. Marta Messa met en garde sur une approche par la compétitivité conduisant à reconduire les systèmes existants ou se fonder exclusivement sur le progrès technique, la réduction des coûts et la quantité à l’exclusion des enjeux de durabilité. Dans un contexte où un tiers des denrées produites sont gaspillées à défendre au contraire une compétition saine positive qui met en valeur la diversité culturelle, alimentaire et des connaissances. Une telle approche fait écho aux travaux de Maurizio Mariani au sein d’Eating City rappelant de manière récurrente les mutations intervenues ces dernières décennies dans le chiffre d’affaires généré par la restauration collective, des flux massifs étant réorientés vers les intermédiaires au détriment des producteurs dont le nombre décroît dangereusement.
De même Stéphane Linou défendant en France le concept de résilience alimentaire rappelle que les circuits courts de proximité sont aussi un pari stratégique face à la fragilité des chaînes longues particulièrement exposées aux chocs géopolitiques et climatiques. Les productions durables et de proximité sont un enjeu de sécurité stratégique.
Gilles Pérole invite enfin à retourner l’argument des contraintes pesant sur les finances publiques en rappelant le coût actuel des systèmes agricoles et alimentaires. Parmi les 48 milliards de soutien public récemment évalué dans un rapport du Secours Catholique, du réseau Civam, Solidarité Paysans et la fédération des diabétiques de France, près de 19 milliards sont orientés vers des systèmes non durables générateurs de dépenses supplémentaires (santé, dépollution…). L’acteur public paye deux fois déplore ainsi l’élu local.
Une bataille par le droit – exiger la cohérence : : Pour Fabrice Riem, professeur de droit à l’université de Pau, il ne s’agit pas tant d’ajouter à la pile des textes un nouveau texte que de rendre cohérent les différents pans du droit qui concernent les systèmes alimentaires. Ces derniers sont très nombreux, éparpillés, pensés en silo, le plus souvent contradictoires. Maurizio Mariani rappelle que dans la Constitution italienne révisée 2022 il est rappelé que l’initiative économique privée est libre mais ne peut nuire à la sécurité, la liberté, la dignité humaine, ni à la santé ou l’environnement. La loi établit les contrôles appropriés afin de faire respecter ce cadre. Un tel socle juridique existe dans tous les pays et doit et peut soutenir les démarches à l’échelle nationale, régionale et locale. Le droit à l’alimentation est également objet de réflexions récurrentes au sein du conseil de l’Europe.
Un impératif de mobilisation collective : l’alimentation comme horizon fédérateur. Comme le rappelle Marta Messa «la qualité de l’alimentation n’est pas juste une question de luxe. Il faut avoir des sociétés civiles engagées ». Le projet School Food 4 Change piloté par Eating City ainsi que les travaux menés par ICLEI, EUrocities ou encore Slow food le démontrent : un mouvement de fond est à l’œuvre partout en Europe. Dans ces pays toujours plus nombreux (République tchèque, Italie, France, Danemark, Belgique, Lituanie…) familles, enseignants, enfants et municipalités sont engagés dans un profond changement. Pour Jennifer Avci, « les repas de cantine c’est le seul langage que tout le monde parle ». Maurizio Mariani invite à féderer tous les acteurs et créer de gros événements à Bruxelles. Cela doit partir d’une action au niveau local régional et avec un dialogue très serré avec les politiciens locaux et les parlementaires européens qui sont aujourd’hui insuffisamment mobilisés.
Un enjeu à pousser au Parlement européen
Valérie Hayer (Renew) et Camilla Laureti (S&D), en tant que membres du parlement européen soulignent l’intérêt du sujet et d’une mobilisation collective. Valérie Hayer invite ainsi à penser une approche globale des politiques agricoles tout en conservant un cap clair sur les objectifs du pacte vert européen. L’objectif de 25% de surface dédiée à l’agriculture biologique ne peut ainsi être soutenu uniquement par des dispositifs d’aides publiques mais nécessite un travail sur la demande, la consommation et les filières. De même les tensions commerciales révélatrices du caractère stratégique de notre souveraineté exigent de prendre de front les objectifs de sécurité alimentaire et de durabilité. L’eurodéputée fait ainsi part de son engagement pour soutenir un travail sur la rémunération des agriculteurs prenant mieux en compte la qualité des produits, et plus globalement le renforcement du poids des agriculteurs dans la négociation pour la vente de leurs produits. Renew a également poussé à ce que la commande publique puisse être mieux mobilisée.
Camilla Laureti invite à soutenir l’implication des autorités locales et les autorités nationales pour garantir une sécurité alimentaire qui protège l’environnement la santé publique tout en garantissant une alimentation de qualité et indique notamment mettre en avant cet enjeu notamment au sein des zones rurales dans la redéfinition de la politique de cohésion. L’approche prônée par l’eurodéputée est également globale prenant en compte aussi bien la dimension sociale, environnementale et les enjeux de santé.
Claudio Serafini rappelle que la mobilisation du parlement européen constitue un des objectifs de la feuille de route d’Organic Cities qui vise l’organisation d’une conférence à l’automne au Parlement. Ce dernier invite ainsi aux côtés de Maurizio Mariani à reposer des questions de fond en des termes renouvelés : « comment nourrir l’humanité ? La réponse est locale, car les institutions internationales sont faibles, mais nous devons aussi renforcer un dialogue international pour nourrir l’humanité dans un esprit de justice sociale et de respect de la planète ».
Une telle conclusion fait écho au propos introductif et volontariste d’Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris, coprésidente de la Commission Stratégies alimentaires de France urbaine : « notre plaidoyer traduit une conviction collective : la transition écologique profonde de l’agriculture et de nos systèmes agricoles et alimentaires européens est possible se joue maintenant. Il nous appartient d’élaborer le cadre de systèmes plus résilients et plus justes qui permettent également de renforcer l’attractivité vers des secteurs économique qui pâtissent d’une désaffection de la part des candidats et candidates à une reconversion ou à un engagement professionnel ».
Replay de l’événement en anglais
Replay de l’événement en français
L'injuste prix de notre alimentation | Secours Catholique - Caritas France
Evaluation-Mouans-Sartoux.pdf
Good food for all
Stéphane Linou : « On est dans une illusion de sécurité alimentaire »
Baltic Municipality’s - Food Coalition BSR Food Coalition
Rappel des bonnes pratiques recensées par France urbaine en lien avec les travaux d'ICLEI
Guide de la commande publique – Manger demain
Policy Paper – Eating City
Présentation des actions menées à la ville de Liège
Déclaration de Bruxelles
School food 4 Change
MANIFESTE POUR LIBÉRER LA COMMANDE PUBLIQUE : PRÈS DE 100 SIGNATAIRES
The Buy Better Food Campaign for sustainable food on the public plate
Ce que nous proposons !
Deux campagnes fondées sur l’analyse des pratiques à l’œuvre en Europe