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POLITIQUE DE LA VILLE – FRANCE URBAINE AUDITIONNÉE AU SÉNAT SUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES

Emploi, sport, culture, rénovation urbaine, colos apprenantes : auditionnés le 6 novembre 2025 par Viviane Artigalas, rapporteure pour avis de la Commission des affaires économiques sur les crédits du programme 147 « Politique de la ville », Katy Bontinck, adjointe au maire de Saint-Denis et vice-présidente de Plaine Commune, représentant France urbaine, et Gilles Leproust, maire d’Allones, président de Ville et Banlieue, font part de leur préoccupation sur les effets cumulés des dispositions du projet de loi de finances pour 2026 sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. 

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Des coupes susceptibles de fragiliser l’intervention en quartier prioritaire :  

Si le programme 147 retraçant les crédits affectés à la politique de la ville paraît relativement préservé, une analyse fine traduit une réalité beaucoup plus inquiétante. 

  • Une réduction globale des marges des collectivités locales : l’érosion des recettes et les charges nouvelles pesant sur le bloc local sont chiffrées à plus de 6 milliards d’euros. Si la ville de Saint-Denis n’est pas impactée par l’ensemble de ces mesures, ce territoire qui comprend 70% de sa population en quartier prioritaire de la politique de la ville est ponctionné de 5 M€ par l’effet conjugué de la hausse de cotisation au bénéfice de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et la fin de la compensation de la suppression de la taxe sur les spectacles. Une telle facture ne comptabilise pas l’amputation de la compensation locaux industriels dont l’impact est estimé à 1,5M€. Ces coupes sont à rapprocher des besoins massifs sur ce territoire : les seules dépenses consacrées à l’habitat indigne s’élèvent à près 3M€ en fonctionnement et près de 5M€ avec l’investissement.  
  • Des politiques de droit commun fragilisées : réduction du pass’sport, du pass’culture, des financements alloués à l’emploi et aux missions locales ou à l’économie sociale et solidaire, coupes touchant le fonds de prévention de la délinquance, fragilité des ressources du Fonds national des aides à la pierre, suppression du financement des colos apprenantes ont un effet direct sur l’accès aux services. A l’échelle d’un territoire comme Plaine Commune dont Saint-Denis, ce ne sont pas moins de 16 contrats de conseiller insertion en mission locale auxquels il est mis fin. 
  • Un budget alloué à la politique de la ville et à la rénovation urbaine en tension : le maintien de crédits significatifs pour les cités éducatives ou les adultes relais est un signal positif. La baisse modérée du budget du programme hors rénovation urbaine masque cependant des incertitudes. Le financement des cités de l’emploi arrive à échéance sans perspective sur la poursuite des actions engagées et les crédits alloués aux autres actions ne sont pas identifiés.  

S’agissant de la rénovation urbaine, le report de l’échéance limite d’engagement en 2027 est accueilli favorablement et l’augmentation des crédits est positive. Cette dernière constitue cependant un simple rattrapage après une contribution de l’Etat de seulement 50M€ en cumulé 2024 et 2025. Le décalage persiste entre les 116 M€ inscrits au projet de loi de finances et les besoins de 250M€ évalués par l’ANRU sur 2026. Katy Bontinck, souligne que la trésorerie des collectivités sera mobilisée en compensation et que les projets sont ralentis alors que les attentes des habitants et une pauvreté croissante inviteraient à une accélération. 

Un défaut de lisibilité sur la mise en œuvre des engagements de l’Etat  

La volonté de l’Etat de faire de la politique de la ville un levier de justice territoriale a été réaffirmée au dernier comité interministériel des villes. Près de quarante mesures ont été annoncées. France urbaine souligne une problématique de lisibilité dans leur atterrissage. 

  • De gel en dégel, une année 2025 marquée par l’incertitude sur l’application de la loi de finances votée : la qualité de la concertation en vue d’élaborer les contrats de ville a été saluée. Toutefois, les collectivités et associations ont pâti d’une forte imprévisibilité dans le décaissement des crédits y compris sur le financement des adultes relais. Cette difficulté de programmation constitue un point sensible dans un contexte où désormais, même les associations les plus structurées alertent sur une situation financière dégradée et des risques sur l’emploi local.  
  • Un projet de loi qui dilue les concours aux quartiers prioritaires : la création du Fonds d’Investissement pour les Territoires, fusionnant les dotations d’équipement masque une baisse nette de 200 M€ des aides à l’investissement et présente le risque de diluer les financements consacrés aux quartiers prioritaires. 
  • Santé : un atterrissage incertain : la lisibilité des mesures est faible et le droit commun peine à être mobilisé. Dans un territoire comme Saint-Denis, un unique médecin scolaire couvrait l’ensemble des missions et n’a pas été remplacé depuis son départ en retraite il y a un an. Les difficultés de recrutement sont fortes notamment en quartier prioritaire. Les annonces du projet de loi de finances de renforts en médecine scolaire ne sont pas une garantie de présence sur le terrain. Les villes assumant par délégation cette compétence déploient des politiques recrutement particulièrement performantes. Mais le faible niveau de compensation par l’Etat, dissuasif, entrave le développement de ces délégations à l’échelle communale. Les centres municipaux de santé sont également fragilisés par un financement précaire : le recrutement de psychologues est soutenu par des crédits annuels et les contrats locaux de santé, pluriannuels dans leurs objectifs ne le sont pas dans leurs financements. 
  • ANRU 3 : une préfiguration qui se fait attendre : France urbaine et Ville et banlieue appellent à remettre au travail la préfiguration d’un ANRU 3. « Les politiques du quotidien et le temps long de l’ANRU doivent fonctionner ensemble » rappelle Katy Bontinck alertant sur le risque d’une incohérence dans l’action publique : « Devra-t-on laisser bétonner les quartiers faute d’argent public à un moment où notre enjeu est leur résilience ? Cela ne correspond pas à notre projet. »  

Les signaux émis sont donc préoccupants et la lisibilité globale des impacts sur les quartiers prioritaires insuffisante. L’intervention en compensation des collectivités pourrait être érodée par des effets en cascade de retrait de l’Etat, des départements et des régions. 

Baptiste Bossard
Conseiller Logement, politique de la ville et urbanisme b.bossard@franceurbaine.org
Marion Tanniou
Conseillère Solidarités et cohésion sociale m.tanniou@franceurbaine.org
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