Transition écologique

NEUTRALITÉ CARBONE : LES COLLECTIVITÉS FACE AU DÉFI DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE, DE LA GOUVERNANCE MULTI-NIVEAUX ET DE LA MOBILISATION TERRITORIALE

Dans un contexte d’urgence écologique et climatique qui questionne la notion de viabilité de nos territoires et appelle à des transformations profondes, des collectivités se mettent au défi d’accélérer et d’anticiper l’échéance de 2050 pour atteindre la neutralité carbone (objectif européen et national), qui représente un des axes majeurs pour répondre aux crises multiformes que nous connaissons aujourd’hui et, qui sont amenées à s’amplifier dans les années à venir. Certaines collectivités territoriales visent 2030, comme c’est le cas des 9 lauréates à la Mission européenne des « 100 villes climatiquement neutres et intelligentes d’ici 2030 – par et pour les citoyens », dont Angers Loire Métropole fait partie, d’autres à 2040 comme la Communauté d’Agglomération de la Rochelle, mais la grande majorité vise 2050.

Abordant de nombreux enjeux au cœur de l’actualité tels que la planification écologique, la gouvernance multi-niveaux, l’articulation des cadres, ou la territorialisation des objectifs, l’atelier “Neutralité carbone en 2030/2040/2050 : les villes face au défi de la planification stratégique, de la gouvernance multi-niveaux et de la mobilisation territoriale”, qui s’est tenu le 21 septembre lors des Journées nationales de France urbaine à Angers, a réuni plus de 150 personnes. Il a permis de mieux comprendre la manière dont les territoires s’approprient cette notion de “neutralité carbone” et s’y préparent, sans éluder les sujets essentiels de l’embarquement des acteurs du territoire et du mur face à eux en matière de financement.

Sous l’animation de Nicolas Soudon, directeur exécutif des Territoires à l’ADEME, Gérard Blanchard, Vice-président de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle, Corinne Bouchoux, Vice-présidente d’Angers Loire Métropole, Eric Piolle, Maire de Grenoble et second Vice-président de France urbaine, et Antoine Pellion, Secrétaire général à la planification écologique (SGPE), ont témoigné des actions entreprises pour chacun et mis en lumière les freins et leviers identifiés d’accélération à la neutralité carbone, et ont pu en échanger avec les collectivités membres de France urbaine participant à cet atelier.

Si Angers Loire Métropole, hôte de l’évènement, fait partie des neufs lauréats français de la Mission Villes (précitée) depuis 2021, la Vice-présidente Corinne Bouchoux a précisé que l’engagement de la collectivité, amorcé avant 2020, s’est réellement traduit après les élections municipales de 2020 avec la proposition à tous les maires de la communauté urbaine de faire le pari d’un pacte politique commun tourné vers la transition écologique, devenant ainsi le marqueur du mandat. Sensibilisation des élus et des services intégrant les scénarios 2050 de neutralité carbone de l’ADEME, débats démocratiques, recherche de consensus et vote de l’urgence climatique, la collectivité s’est dotée d’une méthode volontariste pour créer une véritable dynamique politique et territoriale. La démarche de co-construction de son projet de territoire, avec un fort volet biodiversité, s’est aussi incarnée dans une mobilisation des acteurs locaux (entreprises, universités, citoyens…). L’élue a notamment expliqué la manière dont avait été transformée la contrainte de la pandémie du covid-19, pour en faire un temps dédié à la pédagogie et la formation sur la transition écologique, puis via l’organisation des Assises de la Transition écologique locales, d’octobre 2020 à 2021 (ateliers dans des Ephad, plateforme en ligne etc.). Alors que “la pente est raide” comme l’a souligné l’élue, trois axes prioritaires d’actions ont été identifiés, à savoir le transport, le tertiaire et le secteur résidentiel (avec un focus sur les copropriétés), avec le grand défi de l’accompagnement aux changements de comportement.

Des approches et outils innovants pour la neutralité carbone présentés par l’Agglomération de La Rochelle et la Ville de Grenoble

Gérard Blanchard, Vice-président de la Communauté d’Agglomération de la Rochelle a d’abord rappelé que le projet “La Rochelle Territoire Zéro Carbone” s’est concrétisé dans le cadre de l’obtention de l’appel à projets “Territoire d’innovation”. L’élu a ensuite présenté un outil innovant : la coopérative carbone, faisant partie des 70 actions identifiées pour diviser par 4 l’empreinte carbone de la collectivité, d’ici à 2040. Intégrant les émissions liées à l’importation, c’est aujourd’hui environ 2M de tonnes qui sont émises par le territoire de l’agglomération rochelaise (dont 40% proviennent de l’alimentation et des biens de consommation). Le pari : passer à 500 000 tonnes et séquestrer l’équivalent (notamment par le maintien et la restauration des zones humides représentant un levier majeur) ; il faudra ainsi multiplier par 3 le volume de séquestration.

L’élu a précisé que le but de la coopérative, marché local et volontaire du carbone, est de mieux accompagner et de susciter le développement de projets portés par des citoyens, collectifs, administrations, qui se traduisent par des baisses d’émissions de GES et/ou par la séquestration carbone. La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) calcule alors les quantités de carbone qui ne seront pas émises ou qui seront séquestrées. Il y a ensuite une transformation en crédit carbone en utilisant le Label bas-carbone ou le label local, avec l’idée d’agréger les projets et de chercher des contributeurs pour acheter ces crédits carbone. La coopérative carbone est opérationnelle depuis maintenant 3 ans et a inspiré de nombreux territoires comme la Ville de Paris, le Métropole de Bordeaux etc. La coopérative carbone de La Rochelle a par exemple également accompagné les pôles métropolitains du Pays de Brest et le Pays du Mans à mettre en place un fonds carbone local. 

Un autre outil innovant a été rapidement présenté : le lancement prochainement d’une SEM Energies renouvelables visant 35 megawatts de puissance installée (solaire parking, éolien…), pour appuyer les projets du territoire.

Le maire de Grenoble a souligné que l’élection de la ville comme capitale verte de l’Union européenne en 2022, a permis de donner un coup d’accélérateur à l’objectif neutralité carbone dès 2040, et de mobiliser en cohérence l’ensemble des acteurs économiques, académiques et associatifs du territoire, y compris ceux qui sont le plus habituellement éloignés de ces questions (sport et culture, notamment). Le plan d’actions grenoblois combine des actions sur la végétalisation, le développement des mobilités douces, et un nouveau mix énergétique axé sur l’efficacité et la sobriété, grâce à la rénovation thermique des bâtiments et de l’éclairage public, ou le développement des réseaux de chaleur.

Cet ambitieux plan pluriannuel d’investissement pose évidemment la question de son financement, car au rythme actuel il faudrait, selon Eric Piolle, 6 mandats pour rénover la totalité des écoles grenobloises. Pour éviter d’accroître plus encore la dette écologique qui sera supportée par les générations futures – et que des outils tels que la théorie du donut ou la comptabilité CARE, tous deux expérimentés à Grenoble, permettent de « révéler » -, il est opportun de poser la question d’un recours plus important à l’endettement budgétaire a aussi ajouté le second Vice-Président de France urbaine : les collectivités disposent en effet encore de marges de manœuvre, à condition qu’on leur garantisse une visibilité pluriannuelle sur leurs ressources. Augmenter ne serait-ce que d’un an la capacité de désendettement des collectivités permettrait ainsi de dégager plusieurs dizaines de milliards.

Les travaux du SGPE sur la territorialisation de la planification écologique

Antoine Pellion, le Secrétaire Général à la Planification écologique, a exposé les grandes lignes des travaux menés par le SGPE et les liens avec les collectivités pour en assurer la territorialisation. En s’appuyant sur les dynamiques dans les territoires, le SGPE a réalisé l’état des lieux des émissions de GES en France, en cassant les différents silos thématiques, tout en prenant en compte le problème de la limitation des ressources et leur accès (eau, biomasse, foncier etc.). On ne peut en outre s’attacher seulement aux émissions des territoires et de l’empreinte carbone, sachant que la moitié des émissions sont importées en France. Selon le Secrétaire général, ce travail a permis d’établir une vision cohérente pour identifier les leviers d’actions possibles. Ce dernier a aussi indiqué que l’analyse globale du SGPE doit désormais être discutée dans les territoires, afin qu’un dialogue s’installe autour des plans d’action locaux existants et l’approche nationale proposée, notamment au sein de “COP régionales”, et assurer ainsi une bonne articulation des travaux aux différents échelons.

Cette approche conjointe entre l’Etat et les collectivités à l’échelle géographique régionale devrait permettre de discuter la complémentarité des territoires et la répartition des efforts, prenant la forme “d’enveloppes de tonnes de carbone à abattre par région”. L’ambition : aboutir à des plans d’action renforcés et cohérents avec un objectif global partagé, et une contractualisation des moyens financiers et des plans d’investissement, sans créer de nouveaux outils, au travers notamment du contrat de réussite et de transition écologique (CRTE), pour ce qui est des intercommunalités ou des groupements d’intercommunalités.

Par ailleurs, côté financement, en réponse aux interrogations des élus, Antoine Pellion a assuré de la cohérence de la stratégie proposée par l’État avec les conclusions du rapport de Pisani-Mahfouz sur “l’Évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique”, en rappelant par exemple la proposition portée par le gouvernement dans le projet de loi de Finances 2024 de 10Mrd€ supplémentaires de crédits d’engagement.

France urbaine, qui souhaite contribuer à établir des “ponts” pour favoriser le dialogue entre une multiplicité d’acteurs et à différentes échelles, va poursuivre ses travaux avec les territoires urbains membres du réseau, dans la continuité de la forte dynamique et la mobilisation collective ressenties lors de cet atelier “Neutralité carbone” à Angers.

 

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