NARCOTRAFIC, VIOLENCES INTRA-FAMILIALES, POLICES MUNICIPALES : UNE NOUVELLE EDITION DE LA BIENNALE DE LA SECURITE ET DE LA PREVENTION POUR REAFFIRMER LE CONTINUUM A L’ECHELLE LOCALE
Dès 2022, 40 mesures étaient portées par France urbaine en matière de sécurité et de prévention à l’issue d’Assises au Creusot dans le contexte de l’élection présidentielle. Un plus tard, ce sont 30 propositions qui étaient formuléespour renforcer l’attractivité du métier de policier municipal. En septembre 2024, plus de 50 maires de sensibilités politiques diverses appelaient dans une tribune àun grand plan national et européen de lutte contre le narcotrafic. Après une première édition au Creusot, la nouvelle édition de la Biennale de la sécurité et de la prévention conforte la voix des élus urbains dans le débat public, en articulation étroite avec l’ensemble des acteurs impliqué dans le continuum de sécurité et de prévention.

Narcotrafic : les élus urbains invitent à l’unité en vue d’enrayer un véritable fléau
- Une montée en puissance du narcotrafic sur l’ensemble du territoire
Le narcotrafic s’est étendu aux villes moyennes et villes rurales et touche des publics de plus en plus jeunes. Didier Laguerre, maire de Fort de France rappelle que 75% de la cocaïne saisie sur le territoire français provient de Guadeloupe, Guyane, Martinique fruit d’un trafic en provenance d’Amérique du Sud. La consommation et la distribution se sont également accrues engendrant des poussées de violences. Des luttes de territoire contribuent à une insécurité croissante dans les quartiers populaires. Une telle violence se double des effets de la consommation de crack générant des décompensations, incivilités et comportements agressifs. Les contraintes d’accès et de logistique propres à la Martinique (difficultés de contrôle des côtes, utilisation de barques de pêcheurs, proximité des îles de la Dominique et de Sainte Lucie) facilitent la diffusion des trafics. Cette économie touche désormais une grande partie de la population. Les « mules » rémunérées entre 3000 et 7000€ recouvrent différentes catégories de jeunes ou moins jeunes, parfois non issues du territoire. Didier Laguerre invite à tenir pleinement compte du statut de territoire frontière de la Martinique et de la Guadeloupe, portes d’entrée sur le territoire français de flux de plus en plus massifs à destination de villes moyennes et territoires ruraux.
- Au cœur du débat parlementaire,France urbaine appelle à respecter l’esprit des travaux engagés par les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc
Les travaux et préconisations de Jérôme Durain et Etienne Blanc, respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sont salués par France urbaine : parquet national anticriminalité organisée , nouveaux moyens pour lutter contre le blanchiment et frapper les actifs, renforcement de l’arsenal pénal,des moyens et procédures d’enquête constituent des avancées soutenues par l’association. Face au risque de surenchère qui ferait passer les symboles avant l’efficacité des dispositifs sur le terrain, la présidente de France urbaine Johanna Rolland appelle « clairement et un peu solennellement à ce que l’esprit initial de vos travaux soient respectés. Nous en avons besoin. Les Français en ont besoin.»
Jérôme Durain salue en France urbaine « une des associations d’élus les plus efficaces et les plus actives sur ce sujet », « ce sont les élus qui ont senti avant l’Etat central, avant la représentation nationale la gravité de la menace ». Les deux sénateurs rappellent la croissance des risques de corruption et la complexification des modèles économiques. Etienne Blanc rappelle l’action menée par la Marine pour contrôler le trafic. Du fait de la baisse de surveillance sur le Mali sur le Burkina Faso et sur le Niger, la drogue remonte par voie terrestre à travers le Sahel, l’Algérie, l’Afrique du Nord. Les narcotrafiquants dotés de moyens techniques exceptionnels tirent profit des fragilités de certains secteurs économique (pêcheurs, dockers, etc.).
A l’échelle locale, de nouvelles coopérations sont à consolider en vue de faciliter la collecte d’informations mais également la coordination entre police, parquet, maire, services fiscaux, éducation nationale, services fiscaux, bailleurs sociaux. Le maire ne peut agir seul et sa protection reste un impératif. Joaquim Pueyo, maire d’Alençon et président de la communauté urbaine d’Alençon invite ainsi à la prudence afin d’éviter de poser les maires en première ligne face à la multiplication des « lessiveuses », commerces ouvrant dans l’espace public en vue de blanchir l’argent du narctotrafic.
- Education, prévention et accompagnement en santé : des facteurs clés pour lutter contre l’addiction et la délinquance
La prévention de la délinquance et celle des conduites addictives constituent un maillon essentiel de la politique de lutte contre le narcotrafic. David Marti, invite à « faire sauter des verrous en matière de prévention et de santé. » « Si ce temps-là n’est pas abordé avec la même force, la même volonté et les mêmes moyens, alors je prends le risque de dire malheureusement que nous serons en échec. »
Des politiques sont mises en œuvre à l’échelle locale, cofinancés par les agences régionales de santé rappelle Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Maîtriser les consommations constitue, en effet, un enjeu en particulier auprès des mineurs au vu des effets des substances addictives sur des cerveaux en maturation. Un deuxième volet est la prévention de l’implication des mineurs dans les trafics. Plusieurs collectivités, dont Sarcelles, se sont engagés dans cette voie avec le recrutement de coordonnateurs. Un appel à projets spécifique lancé en 2024 a également permis de sélectionner 15 nouvelles collectivités. Le dispositif TAPAJ (travail alternatif payé à la journée), le déploiement de conventionnement avec les maires, la formation de professionnels, par exemple sur le territoire de Rouen,sont également cités par Benoît Le Goff, directeur de l’association la Boussole et membre du conseil d’administration de la Fédération Addiction.
L’importance de l’école de l’éducation et de la prévention est également soulignée par les sociologues marseillaises Khadidja Sahraoui et Claire Duport : l’entrée dans l’économie du trafic pour les jeunes issus des quartiers populaires est un choix par défaut. Un enjeu majeur reste donc de prévenir l’échec scolaire. Les élus urbains soulignent l’enjeu de coopération avec l’éducation nationale parfois complexe et pourtant essentiel. Le maire d’Alençon et président de la communauté urbaine d’Alençon invite ici à conforter les cités éducatives.
- Des approches internationales confortant le rôle de l’accompagnement
Marie Jauffret-Roustide, sociologue, chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et membre du Conseil scientifique de l’agence européenne des drogues, a pu dresser un large panorama des politiques adoptées par plusieurs Etats.
Face à la flambée des violences, les Pays-Bas qui avaient organisé la consommation de cannabis dans des coffee shops sans organiser l’offre – les coffee shops étaient approvisionnés par le marché illégal – ont décidé de la légalisation dans plusieurs villes y compris de la cocaïne et de la “MDMA”.
Quant au modèle américain, libéral et concurrentiel, celui-ci conduit à des effets délétères en matière de santé.
Le modèle québécois apparaît plus efficace : depuis 2018, la vente de cannabis interdite aux moins de 21 ans est organisée par l’Etat. Les bénéfices vont à la prévention aux soins. L’âge à la première consommation de cannabis est passé de 18 à 20 ans et il est observé une baisse de la consommation chez les jeunes. 8 québécois sur 10 achètent du cannabis dans les marchés légaux ce qui a fait baisser le trafic tandis que le trafic d’autres drogues n’a pas augmenté.
Le Portugal avait un des taux d’overdose les plus importants en Europe. La décision est prise en 2001 de décriminaliser l’usage de toutes les drogues, les consommateurs étant orientés vers une commission de dissuasion de la toxicomanie composée d’un médecin, un assistant social et un magistrat. Au Portugal seuls 20% des Portugais âgés de 15 à 34 ans ont déjà expérimenté le cannabis. La consommation quotidienne de cannabis, elle, est de 3,1% pour la France alors qu’elle est de 0,7% au Portugal. Le Portugal n’est pas confronté aux mêmes violences liées au narcotrafic que la France. L’Allemagne et la Suisse expérimentent également la légalisation du cannabis
Lutte contre les violences intrafamiliales : face aux conséquences sociales du phénomène, de nombreux territoires déploient de nouveaux outils
Un enfant sur dix, victime d’inceste, forte proportion de publics issus de l’aide sociale à l’enfance ou victimes de violences conjugales parmi les femmes sans domicile, impact structurant des milles premiers jours, enjeux de répétition intergénérationnelle des violences… Le phénomène des violences intrafamiliales est massif aussi bien par la population concernée que par son impact sanitaire et social rappelle David Marti.
Les compétences mobilisées sont de fait un enjeu pour les collectivités au-delà des seuls départements. Magistrats, forces de sécurité jouent un rôle éminent de même que le département au titre des missions de PMI et de protection de l’enfance. le bloc communal toutefois a un rôle à jouer en matière de sécurité, logement, santé, action sociale mais également d’impulsion d’une dynamique de détection, prévention et accompagnement sur l’ensemble du territoire
- Des avancées récentes ouvertes ces dernières années
Comme le rappellent Isabelle Sadowski directrice générale adjointe de l’association France Victimes, Perrine Goulet, députée de la Nièvre et Présidente de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationaleet la colonelle Maud Cerclé-Fraval, de nouveaux dispositifs ont été mis en place.
Depuis 2018, un travail important, à la suite du Grenelle des violences faites aux femmes, a été engagé. Les maisons de protection des familles sont une avancée de même de l’ordonnance de protection des femmes qui, depuis, a englobé les enfants.
239 nouvelles brigades dont les deux tiers mobiles ont vocation à se déployer dans les cinq ans avec projection au domicile, dans des permanences en hôpital. 237 dispositifs de dépôt de plainte ont été créé en établissements de santé, ainsi que des permanences dans les mairies et galeries marchandes ou dans des véhicules spécialement aménagés. Une brigade numérique accessible 24h/24 et 7 jours/7 permet également un traitement à distance.
Des outils tels le téléphone grave danger, les bracelets anti-rapprochement, les permanences d’écoute dédiées aux victimes de violences se sont également déployées.
Le déploiement de formations et la mutation des modalités d’accueil et d’accompagnement visent à faciliter les conditions d’accueil de la plainte notamment des mineurs : salle Melanie, unités d’accueil pédiatrique, chien d’assistance judiciaire.
- Des leviers à activer au niveau local
Face à ces enjeux, les collectivités et leurs partenaires sont mobilisés.
Les intervenants sociaux en gendarmerie cofinancés par le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) et les collectivités constituent un soutien structurant et complètent les autres outils existants parmi lesquels
- Le déploiement d’une véritable culture de la détection et du signalement de la part des intervenants sociaux, de l’éducation nationale, des associations sportives et culturelles ou des professionnels de santé mais également des professionnels des collectivités en particulier AESH, animateurs périscolaires mobilisant le cas échéant la PMI et la CRIP et les schémas départementaux d’aide aux victimes ;
- la mobilisation de l’ensemble du tissu local en prévention y compris des commerces à l’image de partenariat entre la gendarmerie nationale et l’enseigne Paul pour diffuser des messages de sensibilisation sur support et emballages de viennoiseries ;
- Le déploiement d’infrastructures d’accompagnement comme les maisons de la parentalité et la mise en place d’une politique d’aller vers.
- Une problématique récurrente de couverture médicale, en accompagnement et en logement
Le dispositif “Mon psy” assure une prise en charge gratuite de 10 séances et peut constituer un outil de prévention. Toutefois, certaines collectivités rappellent les difficultés générées par un manque de couverture en pédopsychiatrie. La déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, Alexandra Louis, rappelle, de son côté, le manque de formation en psychotraumatisme.
S’agissant du logement, question clé pour faciliter l’accompagnement, la présidente de France urbaine tout en soulignant les progrès réalisés déplore toutefois que « sur le terrain nombre de maires pourront vous dire[la nécessité] de moyens pour soutenir les initiatives qui permettent d’augmenter très concrètement le nombre d’hébergements disponibles pour ces situations »
Exemples d’initiatives locales
Communauté urbaine du Creusot
- Signature de la charte Safe place pour les femmes, suivant en cela un mouvement initié notamment à Zagreb (Croatie) intégrant la formation de l’ensemble des professionnels ;
- Conventions avec les clubs sportifs sur la détection des violences en milieu sportif.
Clermont Ferrand
- Mobilisation des infirmières scolaires ;
- Développement d’un jeu « les experts de la citoyenneté » élaboré en lien avec la police municipale et porteur d’une démarche de prévention sur plusieurs sujets dont les violences intrafamiliales, dans les centres de loisir, dans le périscolaire ;
- Création d’une maison d’accompagnement, la maison Gisèle Halimi.
Dunkerque
- Ouverture d’un accueil de jour ouvert 6 jours sur 7 avecun travail en cours pour intégrer un espace de dépôt de plainte ;
- Mise en place d’un contrat de sécurité intégré dans lequel figure cette priorité.
Plaisir
- Création d’un berceau« VIF » en crèche pour permettre la garde et favoriser l’engagement des femmes dans leurs démarches.
Polices municipales : quelles évolutions pour réaffirmer un rôle de police de proximité ?
France urbaine élaborait, dans le cadre du Beauvau des polices municipales, dès mars 2024, une série de propositions invitant à poser un cadre clair articulant polices municipales et forces de sécurité nationale, respectueux de la décentralisation et de la démocratie locale. DavidMarti, co-président de la commission Sécurité et Prévention de France urbaine invite désormais à l’action. « Vous ne pourrez pas mettre de côté ce travail parce que ce sont les acteurs eux-mêmes qui vous soumettent ces propositions » a t-il ainsi rappelé.
Après une mise en perspective historique apportée par Virginie Malochet, sociologue, chargée d’études à l’Institut Paris Région, sur le développement des polices municipales depuis leur création, cette table-ronde animée par Emilion Esnault, adjoint au maire de Toulouse et co-animateur de la commission Sécurité et Prévention, aura permis l’expression de Jean-Michel Weiss, représentant de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT) concernant les évolutions attendues dans le cadre du Beauvau des polices municipales : conditions de travail des agents, nouvelles prérogatives.
Ce dernier point aura fait l’objet d’un très riche débat, à l’appui des éclairages du Procureur d’Alès, Abdelkrim Grini, qui aura rappelé, dans son quotidien, le travail déjà très étroit entre l’autorité judiciaire et les polices municipales, afin de “démystifier” les implications sur le terrain de la judiciarisation des missions des polices municipales. Il est suivi, dans cette approche, par plusieurs élus locaux, dont le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, pour qui, l’extension des compétences des polices municipales est un impératif afin de lutter activement contre la délinquance du quotidien. En ce sens, il lui apparaît nécessaire de pouvoir permettre aux agents d’exercer en civil, d’accéder à certains fichiers ou bien encore de procéder aux fouilles de certains véhicules lorsque cela est nécessaire.
De manière plus mesurée, Nicolas Nordman, adjoint à la maire de Paris, considère qu’il y’a “un chemin” entre la nécessité de plus de compétences et le risque de la judiciarisation, au premier rang desquels la généralisation des pouvoirs de police à l’ensemble des contraventions ainsi que la forfaitisation de ces infractions qui embolisent aujourd’hui l’activité de la Justice.
En conclusion de cette table-ronde et de cette Biennale, David Marti aura insisté sur les discours qui, dans le débat public, pointent aujourd’hui le rôle des maires dès lors que des drames tragiques se déroulent sur le territoire, alors que des moyens sont déjà fortement mobilisés par l’ensemble des collectivités, en palliant parfois les carences de l’Etat (multiplication des polices municipales, développement des centres de supervision urbain, accompagnement des victimes, etc.).
Découvrez la contribution de France urbaine : Biennale_18032025_Contribution.pdf