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JOHANNA ROLLAND : « IL FAUT DES MESURES FORTES POUR L’ACCÈS A UN LOGEMENT ABORDABLE » 2/2

Logement, économie locale, sécurité, sport, Europe et international… suite de l’entretien avec Johanna Rolland, présidente de France urbaine, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole qui partage son analyse à mi-mandat pour les grandes villes, agglomérations et métropoles.

FRANCE - MAYOR OF NANTES JOHANNA ROLLAND

La précarité gagne du terrain et la pauvreté en France se concentre dans les pôles urbains. Quelles mesures fortes préconisez-vous pour enrayer cette situation ?
Johanna Rolland : Il faut briser cette idée reçue que les Français vivant en ville seraient riches et ceux vivant à la campagne seraient pauvres. Cette image d’Épinal est fausse et dangereuse car elle « invisibilise » les habitants des banlieues et des quartiers populaires.

Avec le Pacte des solidarités proposé par le Gouvernement, nous appelons à une véritable ambition sociale. Ses objectifs sont louables mais il s’élabore de manière peu lisible, alors même que les conditions de mise en œuvre ou même les moyens financiers de France Travail, des contrats de ville, du plan Logement d’abord ou de l’expérimentation Territoires zéro chômeur longue durée sont encore floues. Pensons des pactes cohérents, tout en conservant des financements dédiés mobilisables sur la durée, avec de la souplesse. Pour lutter efficacement contre la pauvreté des jeunes, France urbaine n’abandonne pas son idée d’expérimentation et fera prochainement de nouvelles propositions au Gouvernement.

2. La crise du logement s’amplifie et tous les acteurs tirent la sonnette d’alarme. Quelles sont vos propositions ?

Johanna Rolland : Cela fait des mois que nous jugeons la situation alarmante, sur les difficultés que rencontrent nombre de nos concitoyens pour se loger dans les grandes villes, sur fond d’augmentation rapide des taux d’intérêt. Nos propositions sont connues du Gouvernement. ll faut des mesures fortes pour aider les Français à accéder à un logement abordable. Il est important de renforcer les aides à la pierre, conforter le modèle français du logement social universel, promouvoir l’accession sociale à la propriété via les dispositifs que sont l’Organisme de foncier solidaire (OFS) et le Bail réel solidaire (BRS) par exemple, augmenter la construction de logements dans les zones denses où sont les besoins, faire du logement un véritable outil de lutte contre le dérèglement climatique et simplifier les normes.
Il faut aussi donner aux élus locaux les moyens d’agir en confortant la délégation des aides à la pierre aux agglomérations, en leur permettant de gérer tout ou partie des crédits MaPrimeRénov’ et du Service d’accompagnement pour la rénovation énergétique (SARE) et d’accéder à la définition des zonages.
France urbaine est favorable sur le principe à une décentralisation des politiques du logement pour les Autorités organisatrices de l’habitat (AOH) volontaires à deux conditions : d’une part, que les moyens financiers soient garantis ; d’autres part, que l’État reste engagé dans les politiques de logement, en conservant notamment la politique de l’hébergement d’urgence, en tant que garant de la solidarité nationale, de la cohésion sociale et de la politique migratoire. Mais soyons très clairs : la décentralisation ne saurait se substituer à une politique ambitieuse et offensive de l’État pour répondre à l’ampleur de la crise du logement et relancer la construction de nouveaux logements.

3. Sur le volet santé, quels sont les apports de France urbaine ?

Johanna Rolland : Avec le logement qui est au fondement de tout, car avoir un toit est le premier des droits, la santé est aussi au cœur du pacte républicain.
La désertification médicale progresse partout dans les quartiers populaires, comme dans les zones rurales isolées. Là aussi les collectivités agissent à leur mesure. Mais ce doit être un chantier prioritaire de l’État. Je l’ai évoqué, lors d’un échange récent avec Aurélien Rousseau, le ministre de la Santé et de la Prévention. Il m’a assuré de sa volonté d’un travail conjoint avec France urbaine. Nous y sommes prêts et nous voulons faire valoir l’importance de la prévention, et de l’action sur les déterminants de santé (environnement, alimentation, pratique sportive). Cette approche transversale, promue par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), correspond à la vision de France urbaine. Nos collectivités ont tous les leviers pour agir fortement et nous chercherons à le faire reconnaître aussi à l’occasion du débat à venir sur une nouvelle étape de décentralisation.
Sur l’offre de soins, nous avons aussi une légitimité particulière à nous exprimer, parce que nous sommes confrontés au quotidien aux difficultés d’accès aux soins de nos habitants, nos territoires n’étant pas épargnés par la désertification médicale, mais aussi à l’extrême tension budgétaire de nos hôpitaux publics, de nos EHPAD, de nos centres de santé. Nous avons des priorités à défendre, des propositions à formuler, des réalités à partager, et nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une démocratie en santé qui se résumerait désormais aux seuls Conseils nationaux de la refondation. Parce que nous avons une responsabilité collective, il nous faut des espaces de travail de fond, de co-construction, de contractualisation. Nous devons mettre en place une gouvernance resserrée qui nous permette d’agir de manière coordonnée et efficace, et notamment à l’échelle de nos territoires métropolitains. Là encore, la mission Woerth sera une étape que nous saisirons avec conscience et détermination.
J’ai aussi fortement alerté le Ministre sur la question de la santé mentale. Tous les élus vous diront combien la situation dans nos villes se dégrade et devient préoccupante. Le président de la République s’est engagé à ouvrir un chantier spécifique du Conseil national de la refondation (CNR) sur ce sujet. Là aussi, nous espérons que cela ira vite et sera concret. Il n’est pas digne pour la 7e puissance économique du monde, de laisser autant de personnes en souffrance, sans une prise en charge à la hauteur. 
J’ajoute la question de la santé environnementale, enjeu essentiel et montant, à propos duquel nous cherchons à éclairer encore mieux nos membres, qu’il s’agisse du dialogue avec l’Etat, de la documentation scientifique des phénomènes observés.
Sur tous ces sujets, nous cherchons aussi à renforcer les partenariats avec des structures reconnues, telles que la Ligue nationale contre le Cancer, la Société française de Santé publique, ou des ONG investies et reconnues pour le sérieux de leur travail scientifique.

4. Réindustrialisation, attractivité des centres-villes, dark stores… l’économie locale redevient un enjeu politique fort. Comment agir pour une économie locale et décarbonée ?

Johanna Rolland : C’est capital ! La réindustrialisation du pays est une nécessité. Même chose pour l’économie de proximité qui est indispensable pour continuer à faire vivre et dynamiser nos centres-villes. C’est pour cela que France urbaine a été offensive ces derniers mois pour empêcher l’implantation anarchique des dark stores. Nous respectons la liberté d’entreprendre mais pas selon n’importe quelles règles. Les réguler, c’est assurer la vitalité des centres-villes, protéger les restaurateurs de proximité, prévenir les risques sanitaires vis-à-vis des consommateurs, assurer la tranquillité des riverains et lutter contre la précarité économique des livreurs. Le Gouvernement nous a entendu et c’est une belle victoire.
Maintenant, il faut impulser, accompagner et accélérer les transformations écologiques et énergétiques de tous les acteurs économiques. Il faut repenser la place physique de l’économie dans une ville plus intense, circulaire, mixte et sobre, impliquer les territoires dans les questions de compétences, talents, formation et soutenir un entrepreneuriat ouvert, inclusif et durable. 

5. Depuis quelques années, France urbaine formule des propositions fortes sur les questions de sécurité. Les maires des grandes villes sont-ils assez écoutés ?

Johanna Rolland : La sécurité, c’est ce que nous devons d’abord à nos concitoyens qui n’en peuvent plus des violences liées au trafic de drogue. Les grandes villes agissent et prennent leur part dans le continuum de sécurité. Toutes renforcent ; sous une forme ou une autre, les moyens qu’elles y consacrent. Mais face aux différents trafics (armes, drogue) qui explosent, il faut revoir les choses en profondeur. Nos concitoyens n’admettent plus et nous, en tant qu’élus, n’admettons plus cette longue litanie de crimes liés à un trafic de drogue international.
C’est la raison pour laquelle nous avons lancé un appel signé par près de 50 maires de grandes villes et présidents d’intercommunalités lors des dernière Journées Nationales de France urbaine à Angers.
Non pas pour dire que l’État n’agit pas. Nous savons le travail difficile qu’exercent la police et la justice. Nous disons qu’il faut changer de braquet pour être encore plus efficaces. Nous appelons à un véritable plan national et européen de lutte contre le trafic de drogue, qui s’intéresse aux gains financiers, à leur rentabilité et à leur traçabilité. Cela implique de généraliser les enquêtes sur le patrimoine et d’aller plus loin sur le gel et la saisie des avoirs criminels et des sommes phénoménales générées par ces trafics. Il faut également créer un service de renseignement dédié au démantèlement des réseaux car la police judiciaire ne peut pas tout faire. Enfin, sur le terrain, dans nos villes, nous alertons sur la nécessité de territorialiser davantage les moyens de la Justice en fonction de la pression démographique et du nombre de délits constatés : cela peut sembler une évidence, et pourtant ce n’est pas toujours le cas.

6. La culture est-elle la grande oubliée en France ?

Johanna Rolland : Les politiques culturelles en France sont très largement le fait du volontarisme des élus locaux, que l’on évoque le soutien à la création artistique, à la production et la diffusion, l’octroi d’un enseignement artistique et culturel de qualité, l’ouverture aux publics et vers les territoires, le soutien à la création artistique, à la production et la diffusion, l’implantation des équipements culturels et l’événementiel… Ce positionnement singulier des villes et métropoles nécessite évidemment un dialogue nourri avec les syndicats, les opérateurs culturels et bien sûr le ministère de la Culture.
Nous nous situons dans une période de bascule des politiques culturelles, propice à générer du débat politique pour préciser davantage la manière dont nous les positionnons dans notre action locale et dans les grandes transitions que nous portons. Il y a une attente des acteurs culturels et des artistes, que je recueille d’ailleurs chaque année aux Biennales du spectacle (BIS) de Nantes. Les programmes culturels que nous initions ou accompagnons localement, tout comme ceux nationaux, voire européens, à l’instar de la première capitale française de la culture à Villeurbanne l’année dernière, la Capitale mondiale du livre à Strasbourg l’année prochaine ou encore la Capitale européenne de la Culture qui sera française en 2028 sont autant dédiés à l’animation culturelle qu’au reflet de notre ambition pour la culture dans les territoires.

7. La France va accueillir de grands événements sportifs dans les prochains mois. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Johanna Rolland : L’accueil des Jeux olympiques et paralympiques en 2024 vient ponctuer l’organisation de plusieurs événements sportifs en France, à l’instar de l’Euro 2016, la Coupe du monde féminine de football en 2019 et plus récemment la Coupe du monde de rugby. Ces événements, pour lesquels le rôle des grandes villes et métropoles est significatif, doivent être des rendez-vous festifs et populaires et plus encore, permettre d’ancrer un peu plus le sport dans des dispositions éducatives, sociale et environnementales. 
Nous devons, en outre, nous attacher à ce le sport de haut-niveau et médiatisé contribue au développement de la pratique physique et sportive pour tous. L’exemplarité des grands événements sportifs se mesure en particulier à leur impulsion sur le « sport du quotidien » et la pratique amateure : l’un et l’autre doivent être relié. Nous y travaillons en particulier au sein de l’Agence nationale du sport (ANS), en tant que « membre fondateur », aux côtés de l’État, du monde économique et de mouvement sportif. Nous avons d’ailleurs rappelé le rôle social et de proximité qui échoie aux fédérations sportives, dans un contexte d’animation sportive des territoires et d’implantation des clubs, à nos côtés. 
Nous devons profiter de cette séquence olympique pour nous engager davantage sur le champ prospectif du sport, qui donnerait toute sa place aux enjeux sociétaux. Dans le prolongement de la COP 21 à Paris, en 2015, où les villes ont donné de la voix dans la diplomatie environnementale, il y a un contexte favorable qui nous positionnerait dans une diplomatie sportive, en portant une échelle de valeurs que nous compilons actuellement dans le cadre d’une étude avec l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et Territoires d’événements sportifs (TES), sur la géopolitique du sport à l’échelle des villes.

8. En tant que présidente de France urbaine, vous échangez régulièrement avec d’autres réseaux de villes européens et internationaux. Quel est votre message ?

Johanna Rolland : Aujourd’hui, les enjeux des villes françaises sont partagés au niveau mondial. Depuis 2020, que ce soit avec Eurocities, Cités Unies France ou le réseau Urban 7, qui réunit les associations nationales des villes des pays du G7, France urbaine entretient des relations régulières. J’appelle à une coopération plus étroite, basée sur l’échange et la confiance, entre les réseaux de villes à l’échelle européenne et mondiale, pour peser et agir plus efficacement, en dialogue avec les États et les instances internationales, face aux défis environnementaux, économiques et sociaux auxquels répondent les villes. Un certain nombre d’enjeux, comme la santé mentale et environnementale, la question sociale ou la dimension géopolitique du sport, peuvent faire l’objet de partage d’expériences et de coopérations plus nourries encore à l’échelle internationale.  Le fait urbain doit en outre davantage être pris en compte par l’Union européenne, afin qu’il soit plus cohérent, compréhensible et opérationnel, particulièrement à l’approche des prochaines élections européennes de juin 2024.

Retrouvez la première partie de l'entretien

À l’occasion de la 200e de France urbaine hebdo, votre lettre électronique d’informations, Johanna Rolland, présidente de France urbaine, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, livre son premier bilan à mi-mandat à la tête de l’association.

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