Santé

ERRANCE, ADDICTIONS, SANTÉ : QUELLE PRISE EN CHARGE DES PUBLICS VULNÉRABLES DANS L’ESPACE PUBLIC ?

Dans le cadre de la poursuite de son cycle de travail consacré à l’errance, aux addictions et à la santé mentale, France urbaine a consacré, le 16 octobre 2025 à l’Hôtel-Dieu du Creusot, une de ses auditions au rôle des autorités régaliennes dans la prise en charge des publics vulnérables dans l’espace public. Cette étape, a permis de croiser les regards entre élus, forces de sécurité intérieure, acteurs judiciaires et professionnels du médico-social afin de consolider une compréhension commune d’un phénomène en pleine mutation. 

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Un phénomène en expansion, à forte résonance urbaine.  

En ouverture de cette séquence, Emilion Esnault, adjoint au maire de Toulouse et co-animateur de la commission sécurité-prévention de France urbaine, a rappelé que les grandes villes sont de plus en plus confrontées à des situations d’errance et de marginalité, souvent liées à des troubles psychiques et des conduites addictives amplifiées depuis la crise sanitaire (alcool, crack, opioïdes de synthèse). Les causes sont multiples et s’entrecroisent : fragilisation de la santé mentale des jeunes, précarité sociale, évolution démographique, migrations, insuffisance structurelle de l’offre de soins, en particulier psychiatriques. 

Face à cette réalité, les élus expriment une demande croissante de coordination pour construire des réponses permettant de concilier exigence de tranquillité publique et besoin d’accompagnement de publics aux parcours souvent complexes.  

 Police nationale, justice et médico-social : une coordination indispensable 

Autour de la table, trois acteurs clés étaient réunis pour partager leur expertise :  

  • Stéphanie Cherbonnier, directrice nationale adjointe de la sécurité publique (Direction générale de la police nationale), 
  • Matthieu-Pierre Philippe, substitut du procureur de Chalon-sur-Saône, 
  • Nicolas Buonomo, directeur territorial médico-social du Groupe SOS. 

 Pour la police nationale, un double enjeu : faire cesser les troubles et protéger les personnes vulnérables. 

Pour les forces de sécurité intérieure, Stéphanie Cherbonnier a détaillé les approches mises en œuvre pour répondre à des actes répréhensibles potentiellement causés par des publics parfois qualifiés de « perturbateurs » ou « indésirables ».  

Face à un phénomène qui reste difficile à quantifier, la police s’appuie sur trois types d’actions :  
  • Une action immédiate et réactive, en cas d’alertes ou de risques, par les interventions quotidiennes des plus de 70 000 agents déployés sur le terrain : jusqu’à 9000 interventions par jour (soit 3,2 millions d’interventions en 2024) dont un tiers à la suite d’appels au 17 (environ un appel toutes les quatre secondes avec un délai d’intervention dans les huit minutes) ou via l’application « Ma Sécurité » lancée en 2022.  
  • Une approche partenariale grâce aux Groupes partenariaux opérationnels (GPO) mis en place depuis 2018 pour mesurer le besoin de sécurité et le niveau de réponse à apporter, en se fondant sur la construction d’un réseau solide réunissant une pluralité d’acteurs qui dépassent le seul champ de la police nationale (police municipale, bailleurs, associations, opérateurs de transports). 
  • Des stratégies de prévention situationnelle pour améliorer la physionomie de l’espace public, grâce aux 366 experts de la police nationale qui développent un travail sur le mobilier urbain et des analyses de sûreté dans l’espace public 
Pour la justice : adapter une réponse pénale à des situations complexes  

Matthieu-Pierre Philippe, substitut du procureur près le Parquet de Chalon-sur-Saône a insisté lors de cet atelier sur la difficulté de proposer une réponse pénale pour des personnes dont le seul fait d’être à la rue ne constitue pas une infraction.  

Le substitut du procureur a souligné les limites actuelles de la chaine pénale :  

  • L’inadaptation de la garde à vue pour des publics qui peuvent présenter des risques de décompensation et des problèmes psychiatriques lourds.  
  • Le manque d’experts psychiatres pour qualifier l’altération ou l’abolition du discernement de la personne qui change la nature de la peine du mis en cause (sauf « consommation volontaire » désormais prévue par la loi).  
  • La difficulté d’aménager des peines pour les personnes sans domicile fixe et dont l’état mental est fragilisé (un tiers des personnes actuellement emprisonnées souffre de trouble mentaux). 
  • Les difficultés de recours aux alternatives aux poursuites (stages, injonctions thérapeutiques) du fait de la nécessaire adhésion des personnes aux soins et du fort risque de récidive.  
  • Une mise en œuvre de l’hospitalisation d’office complexifiée par la procédure qui s’applique aux tiers demandeurs.  
 Il n’en reste pas moins plusieurs leviers sur lesquels les juges peuvent s’appuyer.  

En milieu ouvert, Matthieu-Pierre Philippe considère ainsi que l’outil le plus efficace reste le sursis probatoire renforcé – éventuellement accompagné d’une interdiction de paraitre – qui permet d’aller plus loin sur le volet sanitaire et social pour des personnes placées sous-main de justice.  

Deux types de mesures sont, par ailleurs, développées localement sur la juridiction de Chalon :  

  • L’insertion des personnes sous-main de justice (ISMJ), fondée sur la responsabilisation de la personne à partir d’un projet d’insertion professionnelle.
  • Le dispositif d’accompagnement individuel renforcé (AIR), financé localement par les collectivités, l’administration pénitentiaire et la préfecture, et qui constitue une incitation à respecter le contrôle judiciaire pour les personnes sous-main de justice, au risque d’être placées sinon en détention provisoire.  
 La place fondamentale du secteur médico-social pour accompagner les publics et réduire les risques 

Du côté du Groupe SOS, Nicolas Buonomo a rappelé l’importance des solutions de réduction des risques et d’insertion, en évoquant plusieurs dispositifs mis en œuvre par le Groupe SOS :  

  • « Travail Alternatif Payé à la Journée » (TAPAJ) permettant l’insertion professionnelle et la réduction des risques en proposant des chantiers d’insertion pour les 18-25 ans. C’est près de 2000 jeunes accompagnés en 2024 dont 60% pris en charge sur le plan médico-social.  
  • « TAPAJ adapté », dans le cadre du « plan crack » à Paris pour les plus de 18ans. 
  • Les Appartements de coordination thérapeutique (ACT), déployés en accord avec l’Agence régionale de santé, et véritables portes d’entrée vers les soins et l’hébergement.  

Un travail de médiation essentiel est également réalisé auprès des riverains et les acteurs locaux pour la régulation aux abords des sites gérés par le Groupe SOS (CAARUD, CSAPA).  

 Ces initiatives démontrent la pertinence d’une approche globale combinant réduction des risques, accès aux soins et accompagnement social. 

En conclusion de cette deuxième étape du cycle d’auditions lancé par France urbaine, David Marti, maire du Creusot, président de la communauté urbaine du Creusot-Montceau et co-président de la commission sécurité-prévention de France urbaine a rappelé les principes qui doivent sous-tendre l’action collective :  

« Faire que la santé, la solidarité et la sécurité se complètent, et pas qu’elles s’opposent […] Faire de la prévention une priorité, donner les moyens d’agir a ceux qui sont au contact chaque jour des plus fragiles. » 

La suite ?  

Les prochaines sessions de ce cycle se poursuivront en novembre et décembre avec deux nouvelles auditions sur : 

  • L’accompagnement social et la question du logement (novembre), 
  • Une mise en perspective européenne et internationale (décembre). 

Une mise en perspective européenne et internationale (décembre). Une immersion au cœur de l’Hôtel-Dieu

La table ronde a été suivie d’une visite des services de l’Hôtel-Dieu du Creusot, incluant le service de diabétologie et le dispositif Le Refuge, dédié à la prévention de l’isolement des jeunes LGBT+. Cette séquence a permis d’ancrer les échanges dans des pratiques concrètes et exemplaires. 

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