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ENCADREMENT DU RECOURS AUX CABINETS DE CONSEIL : FRANCE URBAINE DÉPLORE UNE RUPTURE DE MÉTHODE

Une proposition de loi relative à l’encadrement du recours aux cabinets de conseil par l’État et ses opérateurs avait été adoptée par le Sénat le 18 octobre 2022, à la suite des travaux de la commission d’enquête constituée à ce sujet. Alors que la question de son extension aux collectivités territoriales était loin de pouvoir être tranchée, le Gouvernement a fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement au texte qui fait fi de toute analyse objective et étend aux collectivités de plus de 100 000 habitants un certain nombre de ses dispositions. France urbaine ne peut que regretter un tel procédé.

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Une proposition initiale concernant l’État et ses établissements

Les sénateurs ont adopté, le 18 octobre 2022, au terme d’un vote à l’unanimité, une proposition de loi venant encadrer le recours aux cabinets de conseil par l’État et ses établissements. Cette dernière intervenait à l’issue d’un processus particulier puisqu’elle traduisait en dispositions législatives les conclusions des travaux de la commission d’enquête constituée sur les dérives constatées en la matière au sein de l’État.

La commission d’enquête avait notamment fait le constat d’une confusion des rôles et, dans certains cas, d’une perte de maîtrise de la définition des politiques publiques au profit des prestataires. Elle avait édicté une série de préconisations qui se sont traduites, au travers de la proposition de loi, par l’introduction de nouvelles dispositions, au premier rang desquelles :

  • l’interdiction des prestations de conseil à titre gratuit ;
  • la formalisation systématique d’une évaluation (rendue publique) de la prestation exécutée  ;
  • l’obligation de dresser un état des lieux des ressources humaines disponibles ;
  • la remise au Parlement d’un rapport annuel dressant la liste exhaustive des prestations de conseil commandées au cours de l’année ;
  • l’introduction d’un « code de bonne conduite» entre commanditaire et prestataire ;
  • pour les consultants, l’obligation de déclarer auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) leurs actions de démarchage envers les collectivités ainsi que de déclarer leurs intérêts, sous le contrôle de la HATVP ;
  • enfin, la protection des données de l’administration, au travers de l’obligation pour les cabinets de conseil de présenter une attestation d’audit de la sécurité de leurs systèmes d’information.

Extension aux collectivités : un débat posé sans préalable

L’examen du texte au Sénat avait déjà donné lieu à de premiers débats sur l’extension de son champ d’application aux collectivités, des amendements en ce sens ayant été déposés – et finalement rejetés – par des sénateurs et le Gouvernement.

Par la suite, le Gouvernement et la majorité présidentielle ont posé cette extension comme condition à la poursuite de l’examen parlementaire du texte.

Aussi, l’Assemblée nationale a constitué une mission d’information dite « flash » sur « le champ d’application de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques », mission confiée aux députés Marie Lebec (Renaissance, Yvelines) et Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine, Cher).

France urbaine a tenu à y prendre part au travers d’une audition le 1er juin dernier et d’une contribution commune portée avec l’Association des maires de France et Intercommunalités de France. L’occasion de souligner auprès des rapporteurs :

  • premièrement, la nécessité indispensable de ne pas préempter le débat et de dresser un état des lieux préalable de la situation dans les collectivités afin d’éviter toute législation inadaptée, fondée sur des présupposés,
  • deuxièmement, les grandes différences qui existent entre les collectivités et l’Etat quant aux motifs de recours aux cabinets de conseil ainsi qu’à la structure du secteur économique ou encore en matière de dispositifs de contrôle politiques et administratifs, très nombreux dans les collectivités,
  • troisièmement, les limites voire l’inadaptation aux collectivités de nombreuses dispositions contenues dans la proposition de loi, au regard à la fois du risque d’aboutir à des effets pervers et de méconnaître leur liberté contractuelle, dans l’hypothèse où ces règles devraient être déclinées aux collectivités.

Un travail parlementaire pourtant constructif

Reprenant de nombreux constats exposés par France urbaine dans sa contribution, le rapport remis le 12 juillet dernier au terme de la mission d’information « flash » préconisait, « afin d’assurer un juste équilibre et une bonne adaptation du texte de la proposition de loi aux enjeux locaux, […] de mener une étude plus approfondie sur le sujet. »

Concernant l’hypothèse de la fixation d’un seuil d’application sur une base démographique, évoquée à plusieurs reprises dans le cadre de la mission par les rapporteurs et positionnée à 100 000 habitants, et à laquelle France urbaine s’était fortement opposée, le rapport concluait finalement que « cette proposition ne fait pas consensus », soulignant que « les associations d’élus du bloc communal ont ainsi indiqué qu’elles n’identifiaient « aucune légitimité à ce que le champ d’application soit, le cas échéant, différencié entre collectivités dans la mesure où aucun critère tenant à la taille de la collectivité ou sa catégorie ne permet de considérer que le besoin d’encadrement serait plus ou moins important », et qu’elles préconisaient plutôt d’explorer la piste des seuils applicables à la commande publique en général. »

Ce faisant, les rapporteurs se ravisaient et considéraient donc que « cette [dernière] réflexion devrait être approfondie. »

C’est dans la continuité de ces inflexions positives que se sont engagés les travaux préparatoires à l’examen proprement dit de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.

Auditionnée le 9 janvier dernier par les rapporteurs du texte, Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine, Cher) et Bruno Millienne (Démocrate, Yvelines), France urbaine a réitéré la nécessité d’une étude préalable, regrettant que l’examen de la proposition de loi se poursuive sans que la réalisation de cette étude, pourtant appelée de leurs vœux par les rapporteurs de la mission d’information, n’ait pu être menée.

Partageant cette approche, les rapporteurs, ont finalement renoncé à proposer, par voie d’amendements dans le cadre de son examen en commission, l’extension du texte aux collectivités, au profit d’un amendement sollicitant la remise par le Gouvernement au Parlement, «  avant le 31 décembre 2024 et après consultation des associations nationales d’élus locaux, [d’]un rapport étudiant l’impact d’une éventuelle extension des dispositions de la présente loi aux collectivités territoriales et à leurs groupements sur le fonctionnement de ces collectivités et groupements ainsi que sur le marché du conseil au secteur public local. »

Une rupture de méthode et un contresens total

Alors que les associations d’élus semblaient avoir été entendues par les députés, le Gouvernement a déposé et est parvenu à faire adopter un amendement en séance publique qui étend aux collectivités et EPCI de plus 100 000 habitants une partie des dispositions du texte.

Si le Gouvernement a eu beau jeu d’indiquer que cette extension ne concerne à ce stade que les obligations qui pèsent sur les cabinets de conseil, elle n’en constitue pas moins une rupture de méthode doublement dommageable.

Tout d’abord, elle fait fi des échanges constructifs intervenus en phase préparatoire de l’examen du texte et préempte, sans avoir mené à son terme un travail d’objectivation pourtant indispensable des besoins d’encadrement des prestations de conseil dans les collectivités, les conclusions du rapport que le Gouvernement aura précisément à remettre.

Elle préempte également le débat en fixant un seuil démographique qui constitue à la fois un mauvais signal adressé aux plus grandes collectivités, instillant une suspicion malvenue, et le signe d’une méconnaissance des réalités territoriales.

En effet, ce seuil ne correspond ni à une réalité opérationnelle pertinente ni à une analyse objective des risques. L’invocation par le Gouvernement et certains députés du parallélisme avec les obligations en vigueur relatives aux représentants d’intérêts est sans objet puisque, précisément, ces dispositions font peser des obligations sur ces derniers et non sur les collectivités et ne présentent aucun lien tangible avec le recours aux cabinets de conseil.

France urbaine se mobilisera pleinement dans la poursuite de l’examen parlementaire du texte pour faire valoir tant une approche éclairée du débat que le respect des préalables de méthode les plus élémentaires.

En résumé

  • Le Sénat a adopté le 18 octobre 2022 une proposition de loi visant à encadrer le recours aux cabinets de conseil par l’État et ses opérateurs, suite aux travaux d’une commission d’enquête.
  • Alors que s’est installé un débat sur l’extension de ce texte aux collectivités, France urbaine, avec l’Association des maires de France et Intercommunalités de France, avait pu nourrir un dialogue constructif avec les députés rapporteurs dans le cadre de l’examen à l’Assemblée et à faire entendre aussi bien les réalités territoriales que la nécessité d’un état des lieux préalable.
  • Cependant, sans attendre le résultat de cet indispensable travail d’objectivation, un amendement du Gouvernement pour étendre le texte aux collectivités a été adopté par les députés. Cet amendement étend aux collectivités de plus de 100 000 habitants certaines dispositions de la proposition de loi, ce qui constitue à la fois une rupture de méthode et un contresens regrettables.
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