ECOLE POUR TOUS ET AESH : DES TENSIONS ACCENTUEES PAR LA LOI DU 27 MAI 2024
La loi du 27 mai 2024 prévoit la reprise en gestion par l’Etat des Accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) sur temps méridien, auparavant employés par les collectivités. En dépit d’une note parue durant l’été, les difficultés de mise en œuvre d’une loi pourtant largement saluée dans son principe, produisent un effet loupe sur le manque persistant de coordination autour de l’école pour tous ce dont témoigne un contexte de grève nationale.
Evaluation, missions, conventionnement : une note de juillet précise les conditions de mise en œuvre de la loi du 27 mai 2024
L’Etat (recteur ou inspecteur d’académie) arrête les moyens alloués. Les besoins sont analysés en tenant compte des recommandations émises par les MDPH et de l’expertise des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) ou pôles d’appui à la scolarité (PAS). Ceux-ci évaluent ces besoins en lien avec l’établissement et la collectivité responsable du service de restauration et des activités périscolaires. La famille est associée. Sauf circonstance particulière, l’accompagnement est collectif. Les missions confiées aux AESH s’inscrivent dans le cadre de la circulaire n° 2017-084 et concernent l’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne prenant également en compte la vie sociale et relationnelle, lorsque les situations de crise, d’isolement ou de conflit compromettent l’accueil. Une convention établit le cadre d’articulation entre collectivités et éducation nationale s’agissant notamment de l’usage des locaux ou de la coordination des équipes sur le temps du midi.
Un cadre insuffisamment respecté générateur de tensions
La note parue durant l’été constitue une avancée en établissant un cadre clair de partenariat et en ciblant les collectivités comme partenaires dans l’évaluation des besoins, l’usage des locaux et la coordination sur temps méridien. Pourtant, son application pose question.
Une évaluation coordonnée qui peine à se mettre en place. Seules une partie des MDPH émettaient des préconisations sur temps méridien. Une telle hétérogénéité des pratiques ne relevait pas nécessairement d’une approche différente des besoins de l’enfant mais de l’interprétation faite au niveau local de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la prise en charge du temps méridien. Dans de nombreux territoires, l’évaluation des besoins sur temps méridien était dès lors opérée par les collectivités. Leur mise à jour dans le cadre de la réforme nécessite une coordination entre collectivités, éducation nationale, pial et MDPH dans un secteur où la coordination fait historiquement défaut. En témoignent les problématiques de transmission d’information sur les notifications par les MDPH aux collectivités pour assurer les aménagements nécessaires ou encore la faible articulation entre acteurs s’agissant de la mise en accessibilité globale du patrimoine scolaire pointée par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2024.
Une réforme sans moyens ? Dès l’été 2024, le constat d’une absence de moyens dédiés remonte de la plupart des grandes villes ayant fait le lien avec les académies. Le positionnement d’heures sur temps méridien s’opère par ponction sur temps scolaire. Le passage des contrats de 28 à 32 heures n’est pas assuré. Les pratiques sont hétérogènes : le temps d’intervention des AESH Etat sur temps méridien est tantôt évalué à 45 minutes ce qui pose la question du temps nécessaire d’accompagnement et de coordination sur l’ensemble de la pause méridienne, tantôt à 1h30. Ailleurs encore, l’évaluation prévoit un AESH par école sans prise en compte de la diversité des besoins et effectifs. Face à une approche paraissant guidée à court terme par les moyens et non par les besoins, les villes maintiennent des professionnels en substitution. La ville de Marseille avance un surcoût de 600 000€ sur quelques mois et alerte en décembre le premier ministre avant de voter une motion en conseil municipal. La déprécarisation annoncée pour des professionnels dont les contrats sont prolongés d’un mois sur l’autre faute de visibilité est fragile. S’agissant des familles, les prises en charge sont fréquemment annoncées tardivement lorsqu’elles sont mises en place.
Une problématique de fiabilité dans la remontée des données ? Au vu des alertes, une remontée des besoins de la part des DASEN est sollicitée au niveau national. Toutefois, les modalités de collecte peuvent être génératrices de biais. Alors que les collectivités sont associées dans certains territoires, dans d’autres, la coordination appartient aux directions d’écoles qui peuvent omettre l’intégration des besoins sur temps méridien faute d’en avoir connaissance ou tendre à les sous-évaluer par crainte de devoir partager des enveloppes déjà insuffisantes.
Une problématique structurelle de pilotage de l’école pour tous alimentée par une prise en compte limitée de l’écosystème local
Des intentions ambitieuses affichées en 2023 lors de la Conférence nationale du handicap qui pâtissent d’une trajectoire insuffisamment coordonnée : les annonces faites en conférence nationale du handicap ont été réitérées et précisées quelques mois plus tard en comité interministériel du handicap : accompagnement précoce, déploiement des pôles d’appui à la scolarité pour accélérer la mise en place de premiers aménagements avant notification par la MDPH, déploiements d’enseignants référents, renforcement des équipes mobiles d’appui, intégration des IME et services au sein des écoles, généralisation des espaces de répit, programmation de 50 000 nouvelles solutions, amélioration des outils d’observation… Une telle approche vise à engager un mouvement systémique et à rééquilibrer l’école pour tous en sortant d’un modèle centré sur la compensation que traduit la croissance exponentielle du nombre d’AESH au profit d’un renforcement de l’accessibilité globale du système éducatif. Toutefois cette trajectoire pâtit aujourd’hui d’un manque d’anticipation et de coordination dans le temps et à l’échelle de chaque territoire.
Un renforcement de l’accessibilité conditionné à une révision des modèles de coordination. Depuis 2022, France urbaine plaide pour la mise en place de mesures simples en vue de soutenir la mise en place de l’école pour tous
- Tester une gouvernance infra-départementale dans des villes volontaires : les comités départementaux de suivi de l’école inclusive ne peuvent être au vu de leur échelle, un lieu unique de programmation patrimoniale. A l’heure où de nombreuses mesures annoncées ont un impact direct sur le patrimoine scolaire, une mise en lien entre ARS, CAF, départements et villes est impérative pour mettre à jour une programmation pluriannuelle des investissements des collectivités qui tienne compte des nouveaux dispositifs. Le modèle de Maîche illustre la complexité de ces montages. Articulant un projet porté par la communauté éducative au sens large, les évolutions démographiques et l’identification des impacts fonciers pour diverses structures, ces derniers exigent une véritable anticipation. La clarification des flux financiers est également nécessaire dès lors que les écoles intègrent des établissements relevant d’un financement ARS.
- Déployer une culture de l’accompagnement coordonné : les coûts de coordination inter administration doivent être invisibles pour les familles. Des démarches sont initiées pour consolider l’accompagnement dans le temps et notamment le passage entre crèche et premier degré (Brest, Versailles). D’autres initiatives émergent pour favoriser les échanges d’information dans le respect du secret partagé afin de prendre en compte sur tous les temps de l’enfant, scolaire et périscolaire, les différents accompagnements humains et la mise en place d’aménagements spécifiques. Dans cette perspective, la ville de Lyon s’efforce de réunir MDPH (MMPH sur le territoire du Grand Lyon), ARS, CAF et Education nationale. Les exemples de formations interinstitutionnelles citées dans le rapport de la cour des comptes sont également un modèle largement plébiscité par France urbaine.
Pour aller plus loin
Note de service du 24-7-2024 – mise en œuvre de la loi n° 2024-475 du 27 mai 2024
“L’évaluation de la Cour fait apparaître l’absence fréquente de programmation qui permettrait, sur la base d’un diagnostic partagé entre l’éducation nationale et les collectivités territoriales, de planifier les besoins restant à couvrir en termes d’accessibilité bâtimentaire, mais aussi d’aménagement des espaces scolaires en mobiliers adaptés aux élèves en situation de handicap.” p.19
« À l’échelon national, un comité national de suivi de l’école inclusive (CNSEI) a été mis en place depuis 2019. Sous la co-présidence de deux ministres en charge de l’éducation et de la santé, ce comité réunit également la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), les administrations centrales des ministères, des représentants des agences régionales de santé (ARS) et des associations de famille. Cette coordination de haut niveau a vocation à échanger sur les grands axes stratégiques de la politique publique nationale d’inclusion scolaire et va donc dans le sens d’un partenariat renforcé entre les différents ministères concernés. Toutefois, il apparait que cette instance ne remplit pas réellement un rôle de structuration et de coordination, renvoyant les aspects opérationnels à l’échelon local. (…) L’absence de compte rendu des séances – les seules pièces ayant pu être consultées étant des communiqués de presse et des diaporamas – ne permet pas de caractériser réellement la structuration de ce pilotage national. » p.32