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AVENIR DE LA POLITIQUE DE COHÉSION POST-2027 : QUELLE PLACE POUR LES TERRITOIRES URBAINS ?

Cet atelier du 16 octobre a été organisé alors que s’ouvrent au Parlement européen et au Conseil des ministres de l’Union européenne, les discussions sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034, et que de fortes interrogations émergent quant à l’avenir de la politique de cohésion européenne. Dans un contexte où le prochain budget pourrait être largement réorienté vers de nouvelles priorités — défense, compétitivité, innovation, industrie, logement — les fonds structurels risquent d’être dilués au sein d’un « méga-fonds » intégrant PAC, pêche, migration ou sécurité... Une perspective qui soulève une inquiétude majeure : celle de voir s’effacer la dimension territoriale, et plus encore la place de l’urbain, et par là-même l’ambition d’une cohésion économique, sociale et territoriale, garantie par les traités européens.   

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Une telle évolution irait à rebours des réalités démographiques et climatiques de l’Union. Les grandes villes, agglomérations et métropoles concentrent 75 % de la population européenne (78% d’ici 2050), génèrent les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre et accueillent deux tiers des personnes en situation de précarité, et représentent une part conséquente des investissements publics civils. Elles sont en première ligne pour concrétiser les objectifs européens, donner corps à une Europe de l’action et répondre aux défis climatiques, environnementaux, sociaux et industriels. 

Alors que pour la période 2021-2027, la France a bénéficié de 9,1 Mds€ de FEDER, 6,7 Mds€ de FSE+ et 1 Md€ de FTJ, et à l’heure où les ambitions climatiques et sociales s’intensifient, les moyens alloués doivent être à la hauteur. L’atelier posait également la question de l’articulation avec l’approche de contractualisation tant au niveau national qu’au niveau européen.  

Le nécessaire ancrage local des priorités européennes 

En amont de l’atelier, la Communauté urbaine Creusot Montceau a organisé une visite du Hub&Go, équipement structurant dédié à l’innovation et au développement technologique. À la fois établissement de formation et centre de recherche, ce lieu se positionne au service de l’écosystème territorial tout en disposant d’un rayonnement international. Jérémy Pinto, vice-président de la Communauté urbaine Creusot Montceau, et David Fofi, directeur du département Robotique de Polytech Dijon, ont présenté plusieurs travaux de pointe illustrant l’excellence scientifique du site : robots entraînés par l’intelligence artificielle, robots collaboratifs (cobots), dispositifs d’imagerie polarisée, ainsi que de nombreux projets de recherche appliquée destinés à développer des solutions opérationnelles pour les acteurs économiques et industriels. Cette visite a permis de mettre en lumière la contribution significative des financements européens à l’émergence et à la structuration de telles capacités d’innovation.  

La visite a permis de faire le lien avec l’atelier, l’innovation étant au cœur du nouvel agenda européen qui se profile. Lors de l’atelier, les intervenants ont en effet souligné la nécessité de maintenir un lien fort entre priorités européennes, besoins locaux et capacités d’innovation territoriale.  

Christophe Demazière, Professeur des Universités, Université de Lille (Fasest-IAUGL / TVES), a présenté les premiers résultats de l’étude ESPON URDICO sur la dimension urbaine des financements européens, à laquelle participe France urbaine avec Strasbourg. À partir de huit études de cas de villes/agglomérations européennes (dont Strasbourg), l’analyse identifie les modalités de gouvernance les plus performantes, les innovations administratives observables dans les villes, les contributions aux agendas stratégiques de long terme et les synergies entre financements européens. Les exemples de Rotterdam Sud (projet BRIDGE), de la Pologne (ITI) ou de Budapest (logement abordable soutenu par l’IUE), ainsi que le projet franco-allemand de valorisation de chaleur fatale (Strasbourg – Badische Stahlwerke), ont notamment illustré la capacité des territoires à articuler fonds structurels, programmes en gestion directe, investissements nationaux et lien avec les stratégies locales. En conclusion, la décentralisation, le partenariat et un accès à l’assistance technique constituent les conditions essentielles pour permettre aux villes de contribuer pleinement et efficacement à la politique de cohésion et à la réalisation des objectifs et priorités de l’UE.  

Christophe Moreux, Directeur général de l’AFCCRE, a rappelé le lien essentiel entre cohésion et socle européen des droits sociaux, ainsi que l’inquiétude partagée de l’ensemble des collectivités aux propositions sur la table pour le futur CFP suite à l’Université européenne de l’AFCCRE, tenue à Lille les 9 et 10 octobre. Il a insisté sur le fait que la politique de cohésion est la seule politique européenne qui touche directement les acteurs et habitants des territoires. Si on veut incarner l’Europe, il faut la préserver, afin de garder ce lien entre Europe et Territoires. 

Frédérique Bonnard Le Floc’h, Vice-présidente de Brest Métropole et Co-présidente de la commission Alliance des territoires de France urbaine, a pointé une exigence de cohérence entre les différents niveaux de gouvernance et que l’UE, comme l’Etat, ne peuvent avancer sans les territoires. Cela se traduit également dans les positions portées par France urbaine : 

  • Maintien et renforcement à 15 % de l’enveloppe dédiée au développement urbain durable, au niveau régional et non uniquement au niveau national ;
  • Liberté pour les collectivités de définir leurs propres priorités et outils de territorialisation ; 
  • Simplification effective dans le respect des principes de la cohésion ; 
  • Planification de long terme pour sécuriser des investissements publics durables ; 
  • Accès renforcé aux programmes en gestion directe : Horizon Europe, Erasmus+, Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, Agora EU, Fonds pour la compétitivité…. 

Cela nécessite une gouvernance partagée : un dialogue entre l’État, les Régions et les collectivités locales afin d’assurer l’efficacité, la lisibilité et l’impact des financements européens dans les territoires. Les grandes villes, agglomérations et métropoles ne doivent en effet pas être considérées comme de simples bénéficiaires, mais bien comme des acteurs stratégiques, capables de transformer chaque euro provenant des crédits européens en un levier pour renforcer la cohésion, la transition et la compétitivité.  

Un positionnement européen en construction 

Frédérique Bonnard Le Floc’h, également Membre du Comité européen des Régions, a indiqué que ces préoccupations ont été clairement relayées lors de la Semaine européenne des Régions et des Villes de cette année. Par ailleurs, le Comité a rejeté les premières propositions de la Commission européenne, critiquant une approche inspirée du modèle centralisé des plans de relance post-COVID, trop éloignée des besoins territoriauxet au détriment de la territorialisation des fonds européens. 

Murielle Laurent, Députée européenne, a souligné que les réflexions du Parlement européen s’inscrivent dans cette même mouvance, avec une vigilance partagée face au risque de disparition de l’approche territoriale du CFP post 2027, et qu’il n’était pas acceptable en l’état. La députée européenne a d’ailleurs pointé le fait que la Cour des comptes européenne elle-même a émis des réserves concernant ce futur CFP.  

Le Parlement européen s’est fortement mobilisé depuis lors : quatre formation politiques ont adressé un courrier à la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen que la Commission européenne révise ses propositions concernant les plans nationaux et régionaux de partenariat, et demandant le maintien de politiques européennes distinctes – notamment la cohésion et la PAC – chacune dotée d’un budget dédié, afin d’éviter toute re-nationalisation et de garantir la prévisibilité des financements ; tout en insistant sur le rôle des régions et des autorités locales, dans le respect de la gouvernance multiniveaux. Le Parlement européen a aussi exigé une implication accrue dans le processus décisionnel budgétaire.  

Dans sa lettre du 9 novembre 2025, adressée au Parlement européen et au Conseil des ministres de l’UE, Ursula von der Leyen a pris acte des inquiétudes exprimées par les collectivités, et souligne la volonté de la Commission de consolider le principe de partenariat, la gouvernance multi-niveaux. 

Points positifs 
  • Reconnaissance explicite de la nécessité d’associer les régions, les villes et les autorités locales. 
  • Mise en avant d’un « regional check »1, qui pourrait sécuriser l’approche territorialisée des fonds. 
  • Introduction de « filet de sécurité » budgétaires pour les régions en transition et développées. 
  • Renforcement du rôle des autorités régionales dans la gouvernance multi-niveaux. 
Points de vigilance 
  • Pas de garantie, à ce stade, sur la préservation d’une enveloppe urbaine dédiée dans la cohésion. 
  • Le recentrage des priorités européennes (défense, compétitivité, souveraineté) semble toujours ne pas inclure l’urbain. 
  • Les mécanismes proposés restent à négocier, et leur traduction concrète dépendra fortement des États membres. 

En France, un dialogue interministériel est en cours pour définir une position française sur le CFP post-2027, en réponse aux propositions de la Commission européenne. Cette étape est déterminante pour la place qui sera accordée aux villes dans le futur CFP et leur reconnaissance, y compris par les institutions européennes. Le processus en cours au niveau européen, comme au niveau national, confirme que l’automne et l’hiver 2025-2026 constituent une phase cruciale, où les choix opérés impacteront les capacités d’investissement des territoires urbains pour la période 2028-2034. 

La contractualisation pluriannuelle : une solution pour sécuriser l’investissement dans les territoires ? 

Face à l’incertitude budgétaire (nationale comme européenne) et aux urgences climatiques, sociales et économiques, la contractualisation apparaît comme une piste à creuser pour concilier visibilité, prévisibilité, pluri-annualité et cohérence des investissements. Le futur CFP doit garantir aux collectivités de pouvoir continuer à agir dans la durée, tout en conservant la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux crises successives. 

Côté français, cette approche trouve un écho croissant, alors que le nouveau Secrétaire général à la planification écologique, Augustin Augier, a pointé récemment la nécessité d’une nouvelle étape dans la relation État-collectivités, centrée sur une contractualisation renforcée pour la transition écologique et l’aménagement du territoire. Les réflexions sur l’évolution des CRTE (Contrat pour la Réussite de la Transition Écologique) en CITES (Contrat Intégré de Transition Ecologique et Solidaire) pour les grandes villes, agglomérations et métropoles (voir la résolution de France urbaine sur la décentralisation adoptée au Creusot), et leur possible rôle de point d’atterrissage pour les fonds structurels (FEDER, FSE…), s’inscrivent pleinement dans cette dynamique.  

France urbaine, pour sa part, articule cette vision de contractualisation autour d’un triptyque : 

  1. Mettre en place un contrat unique intégré pour chaque territoire, incluant un volet européen reposant sur une logique de cofinancement.
  2. Inscrire l’action publique dans le temps long, conformément aux recommandations du Conseil d’État sur la continuité et la cohérence de l’action publique entre niveaux européen, national et territorial. Cet impératif de long terme doit contrebalancer la flexibilité très poussée proposée dans le futur CFP. 
  3. Mener les transitions écologique, économique et sociale dans une logique d’alliance des territoires, car les villes ne transforment pas seules, mais en coopération avec leurs espaces alentours. 
Mission Villes : un modèle de contractualisation innovant pour la transition écologique 

Au-delà de la politique de cohésion, d’autres programmes européens jouent un rôle stratégique dans l’accélération des transitions territoriales : Horizon Europe, Erasmus+, Life, Mécanisme pour l’interconnexion…  

Dominique Mathieu-Huber, Cheffe de la Mission SRI/SDR/MiSST, Commissariat Général au Développement Durable, Co-pilote du Groupe Miroir national Ville (Mission Villes), a présenté la Mission Villes — 100 villes climatiquement neutres et intelligentes d’ici 2030 —, qui illustre pleinement la manière dont l’Europe peut accompagner et structurer l’action locale. 

L’approche contractuelle y est centrale : définition d’une trajectoire carbone, plan d’action, plan d’investissement, concertation élargie avec les acteurs du territoire (incluant acteurs économiques et citoyens) … Les neuf villes françaises labellisées2, accompagnées par le Groupe Miroir national Ville, démontrent l’intérêt de cette méthode comme outil transversal. Des travaux explorent d’ailleurs comment cette logique pourrait s’articuler avec les travaux au niveau national de contractualisation en matière de transition écologique. 

Toutefois, si le financement de la Mission Villes est assuré jusqu’en 2030, la question de son devenir au-delà demeure ouverte. Néanmoins, les outils, méthodes et dynamiques qu’elle a permis de structurer pourront être prolongés sous d’autres formes, afin de continuer à les partager avec l’ensemble des villes européennes pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050.  

Poursuite des travaux et perspectives  

Les échanges ont montré l’importance d’une mobilisation collective pour défendre un CFP 2028-2034 à la hauteur des enjeux territoriaux. Des actions à conduire à l’issue de cet atelier ont pu être identifiées : poursuivre le dialogue avec les associations d’élus et les réseaux européens (AMF, Assemblée des Départements de France, Régions de France, AFCCRE, Eurocities, Energy Cities…) ; renforcer les liens avec les membres du Parlement européen dans un moment politique déterminant, contribution de France urbaine à la consultation publique de la Commission européenne sur le CFP post-2027 ; participation à l’événement de présentation desrésultats finaux de l’étude ESPON URDICO qui se profile en janvier 2026 ….  

France urbaine continue par ailleurs son plaidoyer dans le cadre du chantier ouvert par la Commission concernant la révision annoncée des directives Marchés publics de 2014 (notamment dans le domaine de l’alimentation). Cette révision pourrait constituer un levier complémentaire pour accompagner les transitions dans les territoires urbains. La commande publique, en tant qu’outil de transformation territoriale et environnementale, fait en effet pleinement partie des domaines où les décisions européennes à venir impacteront directement les stratégies urbaines. 

À l’heure où l’Europe redéfinit ses priorités et prépare son CFP 2028-2034, et dans l’attente de la publication par la Commission européenne en décembre de l’Agenda européen pour les Villes, les territoires urbains rappellent leur rôle indispensable pour atteindre les objectifs climatiques, sociaux, industriels et de souveraineté. La politique de cohésion doit demeurer une politique d’avenir, territorialisée, lisible et outillée, reposant sur une gouvernance partagée et une contractualisation solide. Les positions portées par France urbaine convergent vers une conviction forte : sans les villes, l’Union européenne ne pourra pas concrétiser ses ambitions.

Delphine BOURDIN
d.bourdin@franceurbaine.org
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