Finances et fiscalité

AUDITIONS PARLEMENTAIRES « CONTRÔLE BUDGETAIRE » : L’OPPORTUNITÉ POUR FRANCE URBAINE DE PARTAGER SES ANALYSES

Le printemps est la saison du contrôle budgétaire pour les Commissions des Finances de l’Assemblé nationale et du Sénat. Cela permet notamment de travailler avec une approche plus évaluatrice que strictement législative. C’est dans ce contexte que France urbaine a été invité à s’exprimer sur des fondamentaux des finances locales que sont :

 

  • La répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF), audition du 10 avril dernier par Stéphane Sautarel et Isabelle Briquet, rapporteurs spéciaux de la mission RCT au Sénat
  • L’efficacité des dispositifs de péréquation, audition du 15 mai dernier par Emmanuel Mandon, rapporteur spécial de la mission RCT à l’Assemblée nationale.

 

L’occasion pour France urbaine de partager ses analyses.

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Un thermomètre obsolète

Evaluer statistiquement (coefficient de corrélation et indicateur de Gini) la performance péréquatrice des dotations est une approche dont la pertinence politique (corriger les inégalités de ressources induites par une géographie fiscale intrinsèquement inégalitaire) et la robustesse méthodologique (le potentiel fiscal était un indicateur parfait tant que les impôts locaux n’avaient pas largement été remplacés par des dotations ou des recettes fiscales sans pouvoir de taux) ont pu être indiscutable.

Malheureusement cette période est derrière nous. En effet, d’une part, le potentiel fiscal/financier est devenu un « protentiel », et, d’autre part, l’on continue trop souvent à raisonner comme si la dynamique d’intégration intercommunale n’avait pas eu lieu. En d’autres termes le « thermomètre est obsolète ».

Le potentiel fiscal / financier visait à mesurer la richesse d’un territoire, indépendamment des choix fiscaux effectués par les collectivités. Or, les réformes fiscales de ces dernières années, de la suppression de la taxe professionnelle à celle de la taxe d’habitation, ont conduit à substituer à des produits potentiels des produits effectifs dans le calcul du potentiel fiscal / financier (remplacement de la TP par, notamment, de la CVAE et de la DCRTP, remplacement de la TH par de la TVA pour les intercommunalités, compensation de la baisse des bases de CFE des locaux industriels par une dotation).

Ces changements ont notamment fait apparaitre plus riches les collectivités qui avaient des taux d’imposition élevés, puisque que le produit qui s’est substitué au produit théorique est le produit effectif de la compensation, supérieur au produit théorique qu’il remplace. Et inversement pour les collectivités qui avaient des taux d’imposition faibles.

 

La dynamique des dotations de péréquation : une réforme à bas bruit

Naturellement les impasses méthodologiques ne doivent pas conduire à geler les choses. D’ailleurs, si l’on met couramment en avant l’absence de « grande réforme » au sens où il y a pu en avoir il y a quelques décennies (lorsqu’il existait une croissance de l’enveloppe globale), il est essentiel de rappeler qu’une « réforme à bas bruit », mais néanmoins essentielle est en marche. En effet, alors qu’il y a quinze ans, les composantes péréquatrices (DSR+DSU+DNP) ne pesaient guère plus du cinquième, elles sont désormais majoritaires s’agissant de la DGF communale (7 Md€ pour les 3 dotations de péréquation en 2025 contre 6,5 Md€ pour la dotation forfaitaire).

De plus, cela n’empêche pas de réformer certaines composantes. Ainsi, on peut se féliciter avec le recul de la réforme de 2018 de la DSU qui a permis un rééquilibrage entre critères de ressources et critères de charges, au profit de ces derniers. Cela ne devrait a priori ne pas faire obstacle à ce que, par exemple, la fraction dite péréquation de la DSR, qui est aujourd’hui de facto une dotation de saupoudrage (plus de 95% des communes en sont attributaires !) soit mieux, demain, ciblée.

 

Eviter les faux procès et contourner les obstacles

Les tenants d’un renversement de la table mettent en avant le fait que la compensation de perte de ressources fiscales confisquées devrait s’éteindre avec le temps. Certes cela satisferait le désir de Bercy qui souhaite effacer la mémoire des effets pervers des suppressions d’impôts locaux (il faut ne jamais oublier de rappeler que les compensations sont un dû). Mais surtout, cela serait ignorer que :

  • soit les ressources fiscales afférentes correspondent à des bases économiques qui demeurent et il est alors légitime que la commune perçoive des recettes en compensation, d’autant que le rendement de l’impôt économique local est déclinant (il n’est pas besoin de rappeler ici les difficultés croissantes auxquelles se heurtent les entreprises, notamment industrielles, pour s’implanter ou même se développer : refus des populations de subir les nuisances, raréfaction du foncier, …)
  • soit les activités ont disparue et alors les territoires présentés comme « rentiers » (percevant des compensations alors que les bases d’impôt économique local ne sont plus là) sont précisément les territoires de déshérence sociale du fait de la disparition des activités économiques.

C’est pourquoi face à des besoins nouveaux, plutôt que de déséquilibrer les budgets des collectivités qui ont été les plus fortement impactées par les suppressions d’impôts locaux, il est plus judicieux de procéder « hors DGF ». Le bon exemple à rappeler est celui de la création et de la forte augmentation de la dotation biodiversité devenue « dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales ».

 

Et face aux dysfonctionnements (relatifs) de la grande horlogerie nationale, pourquoi pas un changement de paradigme ?

 

Il convient d’être lucide sur les limites des indicateurs « universels » (potentiel devenant protentiel, indicateurs de revenu souffrant des limites induites par le secret fiscal et/ou l’insuffisance d’engagement de moyens de l’INSEE).

Certes la régulation nationale (le jardin à la française de la répartition des dotations) a encore de nombreux adeptes et l’on peut comprendre leur nostalgie. Mais ne conviendrait-il pas de réfléchir à un changement de paradigme ?

France urbaine serait partisan d’une approche alternative fondée sur une détermination des indicateurs en cohérence avec les disparités territoriales. La construction d’instruments de péréquation au niveau local (au sein d’un EPCI notamment) devrait tout d’abord permettre de régler au mieux :

– le mix « réduction des inégalités de ressources / diminution des écarts de charges / prise en considération des niveaux hétérogènes de pression fiscale ».

– le point d’équilibre entre ambition quantitative, besoin de garanties et objectif de ciblage.

 

De plus, alors que les mécanismes nationaux se heurtent à une exigence aigue de fiabilisation et de sécurité juridique, la batterie locale est plus large et il peut même être envisagé qu’ils soient établis « en proximité » (avec par exemple le concours des agences d’urbanisme).

Surtout, le ressenti politique pourrait être différent : les dynamiques de péréquation sont subies lorsqu’elles découlent du CGCT, alors qu’elles deviennent pleinement lisibles et d’autant plus durables qu’elles découlent de débats partagés localement.

 

Franck CLAEYS
Délégué adjoint f.claeys@franceurbaine.org
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