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RECOURS AUX CABINETS DE CONSEIL DANS LES COLLECTIVITÉS : FRANCE URBAINE RÉPOND À LA COUR DES COMPTES

Dans un rapport publié le 10 juin dernier, la Cour des comptes analyse le recours des collectivités territoriales aux prestations de conseil et formule une quinzaine de préconisations. Dans sa réponse annexée au rapport, France urbaine a tenu à opérer certaines mises au point et à souligner le fait que les constats de la Cour ne permettent en aucun cas de tirer de conclusions dans le sens de l’extension aux collectivités du champ de la proposition de loi sénatoriale sur le sujet, débat qui a largement animé la navette parlementaire du texte, aujourd’hui en attente d’examen en 2ème lecture à l’Assemblée nationale.

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Le rapport publié par la Cour intervient dans le cadre de son programme de contrôle issu des sujets remontés par le biais de sa plateforme citoyenne. S’appuyant sur les contrôles auxquels ont procédé les chambres régionales des comptes (CRC) de Nouvelle Aquitaine, d’Occitanie, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Polynésie française, ce rapport énonce des recommandations consistant essentiellement en la réplication de bonnes pratiques en matière d’évaluation en amont des besoins, de pilotage et d’évaluation de l’exécution des contrats.

Des bonnes pratiques qui dépassent les prestations de conseil et font écho à des démarches engagées en matière d’achat public en général

Dans sa réponse, France urbaine retient « le caractère avant tout pédagogique du travail d’analyse réalisé par la Cour et les Chambres régionales des comptes » et souligne que « cette approche fondée sur l’accompagnement et non la mise en cause nous apparaît concourir utilement à l’amélioration des pratiques et de la gestion publique, dans le cadre d’un dialogue constructif « .

Elle relève aussitôt que « de nombreux constats et recommandations énoncés […] semblent par ailleurs dépasser largement le champ des seules prestations de conseil et renvoyer aux pratiques des administrations, collectivités et établissements en matière d’achat public de façon générale« , citant « la bonne évaluation et définition du besoin », « la mise en place de moyens adaptés s’agissant du suivi de l’exécution des contrats », « l’évaluation de la prestation exécutée et de l’établissement de cartographies des opérateurs co-contractants », afin précisément d’identifier les risques de dépendance et d’ « abonnement » que pointe le rapport.

France urbaine rappelle ainsi que de telles démarches ont déjà été engagées par ses membres et que « indépendamment d’observations et recommandations qui seraient ciblées sur les prestations de conseil, […] il est déjà à attendre des effets bénéfiques de ces démarches globales, notamment sur les marchés de prestations intellectuelles. »

Un cadre comptable inadapté

France urbaine rejoint le constat de la Cour d’une inadéquation du cadre comptable, qui constitue un réel obstacle à la connaissance exhaustive, au niveau national, des volumes de prestations de conseil, rappelant qu’elle avait exprimé ce même constat dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

Des mises au point et des mises en perspective face au risque de « raccourcis »

Pour autant, France urbaine entend remettre en perspective certaines appréciations portées dans le rapport et opérer quelques mises au point.

En effet, elle regrette :

  • des rapprochements opérés par le rapport qui n’invalident en aucun cas le bienfondé d’une externalisation contrairement aux conclusions qui en sont tirées en soulignant notamment que « la seule mise en regard du recours à des prestations de conseil avec le nombre total d’agents de catégorie A de la collectivité ou encore avec la vocation de son territoire dans le domaine de la prestation – le tourisme en l’occurrence et le fait d’avoir accueilli une manifestation de rayonnement européen – ne sauraient constituer une démonstration rigoureuse du fait que le recours à un prestataire était injustifié »,
  • des raisonnements hâtifs consistant à considérer qu’une absence de formalisation de l’évaluation du besoin par la collectivité correspondrait à une absence totale d’analyse, rappelant que « la prise en compte des éléments objectifs permettant d’apprécier en opportunité un tel recours peut intervenir et intervient le plus souvent sans donner lieu à un tel niveau de formalisation »,
  • un appel à mobiliser les ressources publiques locales qui s’appuie sur une confusion juridique entre quasi-régie et champ concurrentiel. Ainsi, si France urbaine ne conteste en aucun cas le bienfondé d’une telle préconisation, appuyée sur de bonnes pratiques qui sont rappelées, elle décèle une possible confusion dans le rapport entre, d’une part, la référence aux sociétés publiques locales (SPL), dont la Cour rappelle à juste titre que peuvent leur être confiées des prestations sans mise en concurrence, et, d’autre part, l’invitation à faire appel aux « centres universitaires et de recherche ». Or, comme le rappelle France urbaine, « il ne saurait être mis sur le même plan des entités avec lesquelles les collectivités ont des relations de contrôle très hétérogènes, les unes relevant du régime de la quasi-régie quand les autres n’en relèvent pas et appartiennent potentiellement au champ concurrentiel », au risque de « laisser accroire que ce recours peut intervenir aussi aisément que dans le cas d’une SPL, sans mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence », ce qui est inexact.

Des singularités du secteur public local, au regard des dérives constatées au sein de l’État 

Dans leur rapport, les juridictions financières soulignent « l’autonomie des services prescripteurs » en matière de prestations de conseil. Mais, comme le pointe France urbaine, « si cette particularité est considérée [par la Cour] comme un point de vigilance », il convient de voir dans cette réalité « une profonde différence de diagnostic avec les dérives qui ont été constatées par une commission d’enquête sénatoriale s’agissant des services ministériels, dérives à l’origine de la proposition de loi » qui en a découlé.

En effet, on rappellera à cette occasion que la décision de recourir à une prestation de conseil dans une collectivité territoriale a très rarement pour origine une commande des élus mais est le plus souvent le résultat d’une analyse des services opérationnels prescripteurs, de façon ascendante, souvent ensuite « validées en comité technique ou de pilotage mais sur proposition des services ».

Aussi, France urbaine a tenu à mettre en exergue le fait que « cette réalité est très éloignée de celle documentée par le Sénat [s’agissant des ministères] d’un risque de commandes à caractère « politique » et « descendant », susceptibles de venir doublonner les compétences et l’expertise de l’administration«  et qu’ « elle suffit à largement questionner la pertinence d’un élargissement du champ d’application de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, adoptée par le Sénat le 18 octobre 2022″.

Transposition aux collectivités de la proposition de loi : la tentation d’une instrumentalisation du rapport ?

Dans sa réponse, France urbaine rappelle que « l’hypothèse d’une transposition même partielle des dispositions de [la proposition de loi sénatoriale] aux collectivités territoriales ne saurait être discutée sans un diagnostic préalable propre aux collectivités qu’aucun des travaux parlementaires réalisés en préparation de l’examen du texte à l’Assemblée nationale n’a permis de mener à bien, comme l’ont souligné eux-mêmes les auteurs de ces travaux » et que ce travail nécessiterait « une analyse d’opportunité détaillée d’une extension de chacune de ses dispositions » afin d’en proportionner les formalités aux objectifs visés.

Mais le rapport de la Cour ne saurait être regardé comme suffisant pour en tirer une telle analyse.

Par ailleurs, France urbaine a saisi l’occasion de sa réponse au rapport pour indiquer qu’ « [elle] ne voit dans les constats dressés [dans le rapport de la Cour] aucun élément, de quelque nature qu’il soit, qui pourrait justifier pour le législateur de fixer un seuil démographique au-delà duquel les collectivités territoriales seraient soumises aux obligations prévues par la proposition de loi et en-deçà duquel elles ne le seraient pas« .

Or, pour mémoire, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, en janvier 2024, les députés avaient adopté une disposition prévoyant un tel seuil, fixé à 100 000 habitants, disposition supprimée ensuite en 2ème lecture par les sénateurs, qui ont plus largement retiré du texte toute disposition étendant le champ d’application du texte aux collectivités. Si un tel seuil devait revenir dans le débat, France urbaine en rappelle « le caractère totalement inopportun » et le fait que sa détermination est intervenue « au mépris de tout travail rigoureux d’objectivation des constats et au prix de la suspicion quant à la gestion des collectivités de grande taille« .

Même si la Cour ne va pas jusqu’à tirer elle-même ces conclusions, de tels rappels ne sont pas inutiles car, du rapport lui-même à la tentation d’en exploiter le propos pour justifier cette approche, il n’y a qu’un pas que semble franchir le Gouvernement. En effet, dans sa réponse au rapport, s’appuyant sur le constat de la Cour que les prestations intellectuelles commandées par les collectivités contrôlées « sont concentrées sur les collectivités les plus importantes, qui sont associées à des projets d’investissement de grande ampleur », il croit pouvoir en déduire que  « ce constat tend à confirmer le postulat selon lequel les structures les plus importantes sont les plus exposées aux risques induits par le recours à des cabinets de conseil » et que « ce sont également celles qui sont les plus à même d’intégrer la contrainte administrative ».

Ce positionnement – plus que contestable – ne fait que renforcer la vigilance de France urbaine quant à l’utilisation qui pourrait être faite du rapport dans le cadre d’une réactivation du débat sur la proposition de loi encadrant le recours aux prestations de conseil, alors que le texte est aujourd’hui en attente d’examen en 2ème lecture par l’Assemblée nationale.

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