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PROPOSITION DE LOI « TRAJECTOIRE DE RÉDUCTION DE L’ARTIFICIALISATION CONCERTÉE AVEC LES ÉLUS LOCAUX »

Déposée au Sénat le 7 novembre 2024, par les sénateurs Guislain Cambier, Sénateur du Nord, et Jean-Baptiste Blanc, Sénateur du Vaucluse, la proposition de loi « Trace » a été déposée au Sénat le 7 novembre 2024. Examinée en commission des affaires économiques le 19 février 2025, sous le pilotage des rapporteurs Amel Gacquerre, Sénatrice du Pas-de-Calais (Union Centriste) et Jean-Marc Boyer, Sénateur du Puy-de-Dôme, elle doit être examinée en séance publique les 12, 13 mars et 18 2025.

Drone view of Langhe Vienyards in Piedmont

Modifiée lors de son examen en commission, la proposition de loi qui sera débattue dans l’hémicycle apporte un certain nombre d’évolutions majeures par rapport aux textes applicables.

Si des gages de bonne intelligence territoriale peuvent utilement être apportés pour sécuriser les trajectoires d’ensemble au service de l’ambition de la loi « Climat et résilience » (notamment pour éviter des effets rétroactifs en matière d’aménagement commercial par exemple), ces « changements de règles du jeu » ne doivent pas aboutir à fragiliser des trajectoires déjà engagées dans bon nombre de territoires urbains, au risque de casser les dynamiques en cours et de remettre en cause l’ambition même d’une atteinte du « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050 :

  • La suppression du jalon intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation en 2031 par rapport à la période 2011-2021 pour le renvoyer aux discussions territoriales, outre qu’elle enverrait un signal incohérent avec l’urgence à protéger les milieux naturels mais aussi avec les efforts déjà largement consentis dans les trajectoires « climatisés », fragiliserait les documents d’urbanisme ayant déjà intégré les objectifs de la loi, et pénaliserait donc les plus engagés ;
  • L’évolution de la gouvernance régionale risquerait de fragiliser les travaux déjà engagés par bon nombre de régions, et contribuerait à remettre en cause la nécessaire mobilisation intercommunale sur ces enjeux ;
  • Le report de mise en conformité des documents d’urbanisme n’est pas demandé par les adhérents de France urbaine, sachant que des trajectoires spécifiques pourraient être trouvées pour les situations difficiles.
  • Malheureusement, plusieurs amendements adoptés en commission ne sont pas de nature à calmer ces inquiétudes. Parmi ces points, la nouvelle version du texte consacre un renforcement de la « surface minimale de consommation », dite « garantie communale » (hectare disponible à l’artificialisation par commune), accentuant l’incohérence de cette disposition.

Tout d’abord, en l’étendant “dans l’espace”, notamment pour les communes déléguées des communes nouvelles. La consommation théorique d’un hectare par commune représentait déjà l’équivalent de 29% de l’enveloppe allouée au niveau national. Ce chiffre pourrait augmenter de manière significative, au détriment des équilibres construits dans des territoires en tension, accueillant une population nombreuse – de surcroît en pleine crise du logement, ainsi que des activités économiques ;

Ensuite, en la renforçant “dans le temps” : la période à partir de laquelle les communes bénéficient de la « garantie communale » serait décalée de 2021 à 2025, laissant supposer une « période blanche » durant laquelle les surfaces potentiellement artificialisées ne seront pas comptabilisées au titre de cet hectare. De plus, alors que le droit en vigueur ne prévoyait cette « garantie communale » que pour la période 2021-2031, les modifications apportées ouvriraient un droit équivalent par tranche de dix années. Par ailleurs, les sénateurs ont introduit de nouvelles dérogations à la comptabilisation de consommation d’ENAF qui, outre le fait qu’elles peuvent être discutées sur le fond, risqueraient de fragiliser les trajectoires déjà engagées.

  • Pour les projets industriels : l’enjeu stratégique de reconquête de notre souveraineté industrielle est trop important pour servir de prétexte à un nouvel affaiblissement du ZAN. Au-delà, si France urbaine soutient le principe d’exceptionnalité pour des projets industriels majeurs (EPR, Airbus ou autres giga-factories), l’étendre à toutes les implantations industrielles créerait un appel d’air qui pénaliserait les nombreuses collectivités engagées depuis plusieurs années et à coût élevé dans des démarches de sobriété foncière à destination économique (foncières, amodiations, baux à construction…).
  • Pour le logement social dans les communes carencées, et sans condition aucune (nombre minimal de logements par exemple), attribuant ainsi de fait une prime aux communes qui ne respectent pas les obligations de loi SRU.

S’agissant enfin de la gouvernance de l’effort de sobriété foncière, c’est-à-dire de l’espace de dialogue permettant de s’entendre sur la préservation d’une ressource collective rare, la conférence régionale de sobriété foncière verrait sa composition modifiée par rapport au texte initial, avec une répartition qui reste à ce stade assez floue au-delà de son ambition de se fonder sur une base communale.

Cette conférence verrait par ailleurs ses prérogatives renforcées, y compris de manière “rétroactive” puisqu’elle pourrait demander la révision simplifiée du SRADDET sur l’aspect « ZAN », dans les 9 mois suivant la promulgation de la loi. Les cartes déjà jouées pourraient donc être rebattues, avec un fort risque d’instabilité et d’insécurité juridique (encore une fois au détriment des « bons élèves » et surtout de la tenue de nos engagements climatiques).

Il faut redire que dans bon nombre de régions et de territoires, la mise en œuvre effective du « Zéro artificialisation nette » a été prise à bras le corps. Malgré l’exigence et la complexité inhérentes à la concrétisation d’une telle ambition, les choses ont très largement avancé sur le terrain. Des consensus opérationnels ont été trouvés, des trajectoires à 10 ans ont été fixées, des documents ont été adaptés (ou sont en passe de l’être), dans un dialogue apaisé entre territoires urbains, périurbains et ruraux.

Modifier une nouvelle fois les règles du jeu, alors que la volonté d’agir se concrétise chaque jour, risque de porter un coup au dialogue territorial, aux ambitions de sobriété foncière et donc au nécessaire respect de nos engagements climatiques. Que des accompagnements et adaptations ciblés puissent être nécessaires pour permettre à chacun, suivant un principe de dialogue et d’intelligence territoriale, de tenir sa part d’engagements collectifs s’entend. Mais ce texte, dont les membres de France urbaine n’étaient pas demandeurs, ne peut aboutir à fragiliser l’ensemble des trajectoires déjà engagées.

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