LA DETERRITORIALISATION DE L’IMPOT LOCAL : LA COMMISSION DES FINANCES DE FRANCE URBAINE OUVRE LE DEBAT AVEC LA COUR DES COMPTES
Ce jeudi 13 février 2025, la Commission des Finances de France urbaine a eu l’opportunité de recevoir Jean-Pierre Viola, président de la section Finances publiques locales de la Cour des comptes, pour une session d’échange autour du récent travail des magistrats de la rue Cambon intitulé « L’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt – Bilan provisoire des réformes de la fiscalité locale depuis 2017 ». Toute concomitance avec la présentation, largement médiatisée, ce même 13 février, du dernier rapport de la Cour sur la « Situation des finances publique début 2025 » étant bien sûr fortuite ! (*)
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(*) France urbaine reviendra ultérieurement sur la question de l’articulation entre mise en œuvre des politiques publiques locales et déficit maastrichtien des comptes publics : une fois que les chiffres définitifs de l’exercice budgétaire 2024 seront partagés.
Une charge extrêmement lourde pour le budget de l’Etat
Suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, suppression de la CVAE en tant que ressource des collectivités et baisse de la moitié des bases d’imposition des locaux industriels : la facture des trois principales réformes de la fiscalité locale s’avère extrêmement élevée.
La perte de recettes pour l’État est ainsi estimée par la Cour à 38,5 Md€ (en 2023), soit 25 % du total des déficits publics (154,8 Md€, soit 5,5 % du PIB en 2023) et, surtout, la moitié de la hausse des déficits publics entre 2017 et 2023 !
Des réformes qui n’ont jamais été réfléchies au prisme des collectivités
Depuis plus de 25 ans l’histoire bégaye : aucune des réformes portant sur les impôts locaux (de la suppression de la part salaire de l’assiette de l’ex-taxe professionnelle à la disparition de la CVAE) n’a été motivée ni même réfléchie à l’aune des récipiendaires du produit fiscal, à savoir les collectivités. Officiellement motivées par le souci de diminuer la pression fiscale sur le contribuable, la volonté sous-jacente d’assurer un meilleur contrôle de l’Etat sur le niveau de ressources dont disposent les élus (pour mettre en œuvre les politiques publiques locales) n’a jamais fait mystère.
A cet égard, le travail de la Cour apporte des éclairages d’actualité opportuns et précise notamment le bilan de ces réformes du point de vue de leurs cibles, à savoir les contribuables.
On se souvient que l’argumentation gouvernementale en faveur de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales se fondait sur le caractère inégalitaire de l’imposition (du fait de l’obsolescence des valeurs locatives). Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’observer aujourd’hui la réalité d’une « redistribution à l’envers », qui a davantage bénéficié aux ménages aisés qu’aux ménages défavorisés.
Quant au détricotage de l’impôt économique local, les magistrats font œuvre de prudence : les effets sur la consommation sont « incertains », compte tenu du manque de recul pour apprécier les effets de la baisse de ces impôts locaux sur le comportement d’investissement des entreprises dans la durée.
Une double peine pour les collectivités
Fait indiscutable, les compensations de pertes de recettes pour les collectivités ont été, pour l’Etat, intégralement financées par un surcroit de recours à l’emprunt.
Ainsi, désormais, lorsque l’Etat appelle à un effort des collectivités pour contribuer au redressement des comptes publics, il leur impose une double peine. Non seulement les collectivités subissent des ponctions (notamment au titre des dotations de compensation des pertes de recettes induites par les suppressions unilatérales d’impôts locaux), mais elles doivent aussi faire face à un panier dysfonctionnel de ressources, conséquence directe d’une amputation de leur autonomie fiscale.
Accueil des entreprises et construction des logements : des effets néfastes
L’analyse de la Cour permet également de documenter les conséquences dommageables de la déterritorialisation des recettes locales.
S’agissant de suppression de la THRP, la disparition du lien contributif d’une partie des ménages avec les communes est objectivée et documentée : dans certaines grandes villes, la proportion de propriétaires occupants peut descendre jusqu’à seulement 20 %.
L’impact négatif sur la construction de nouveaux logements est prouvé, lesquels apportent toujours aux communes des recettes de TFPB, mais n’induisent plus de recettes de THRP.
Concernant la disparition de la CVAE en tant que recette locale, les magistrats notent une moindre incitation à l’accueil de nouvelles activités économiques. On se souvient que c’est précisément cette perspective qui avait motivé France urbaine pour obtenir l’affectation de la dynamique positive de la TVA versée aux intercommunalités en remplacement de la CVAE à un fonds national de l’attractivité économique des territoires (FNAET) …
D’où un sentiment de colère lorsqu’il s’agit de constater que la loi de finances pour 2025 vient geler ce mécanisme !
De précieuses recommandations
Certes, les membres de la commission Finances ont pu exprimer des divergences avec les analyses de la Cour sur certains points tels que l’appréciation du niveau de ressources accordé aux collectivités en compensation des impôts locaux supprimés, la qualification de la CVAE en tant qu’impôt de production, ou encore s’agissant des conséquences et propositions relatives à la DGF.
Pour autant, les membres de la Commission convergent sur la nécessité de donner un coup de projecteur sur ce rapport.
D’abord, parce que la profondeur des analyses qui y sont développées tranche avec l’indigence du contenu du rapport « officiel » que le Gouvernement avait remis au Parlement en application de l’article 16 de la loi de finances pour 2020 : on se souvient notamment de la facilité avec laquelle la question, explicitement mentionnée par la loi, d’une évaluation sur la construction de logements sociaux avait été écartée du champ du rapport au motif de l’absence de données.
Ensuite, parce que la Cour fait œuvre utile en avançant de précieuses recommandations, tout particulièrement sur la question majeure des valeurs locatives.
Face à un dangereux mouvement de déterritorialisation de la ressource locale, les magistrats de la rue Cambon insistent opportunément sur la nécessité de conforter l’impôt foncier et émettent deux recommandations visant à moderniser les impôts fonciers locaux :
- intégrer à court terme aux bases de la taxe foncière sur les propriétés bâties les résultats de la révision sexennale de la valeur des locaux professionnels ;
- engager sans attendre la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation.
En d’autres termes, que l’Etat respecte la loi !