DELEGATIONS DE SERVICES PUBLICS LOCAUX : UN RAPPORT UTILE ET CONSTRUCTIF DE LA COUR DES COMPTES
La Cour des comptes a publié, le 19 décembre dernier, un rapport thématique sur les délégations de service public (DSP) locales. Ce rapport analyse les pratiques actuelles, identifie les axes de progrès et propose des recommandations pour améliorer la transparence, l’efficacité et l’équilibre des contrats entre les collectivités territoriales et les délégataires. Dans la réponse qu’elle a produite dans le cadre de la procédure contradictoire prévue, France urbaine a tenu à saluer la qualité du travail de la Cour, tout en apportant des précisions et compléments, forte de l’expérience de ses membres.
Capitalisation des bonnes pratiques
Au travers de leur rapport sur les DSP locales, rendu public à la fin de l’année dernière, les magistrats de la rue Cambon contribuent avant tout à la capitalisation des bonnes pratiques à destination des autorités délégantes et à la formulation de préconisations de nature à renforcer l’exercice de son rôle par la puissance publique, aussi bien dans la passation que dans le pilotage des contrats de DSP.
En effet, loin de constituer une quelconque « mise à l’index » des collectivités et un recensement d’éventuels manquements de leur part, ou encore de promouvoir les mérites comparés des modes de gestion – ce qui, du reste, constituerait une gageure dans l’absolu – le rapport souligne avant tout l’importance pour les collectivités de créer les conditions d’un choix éclairé du mode de gestion de leurs services publics.
La Cour met en avant plusieurs enjeux majeurs : mieux documenter les choix des collectivités par des études préalables approfondies, renforcer la mise en concurrence pour garantir l’équité, améliorer les outils de suivi financier des DSP, et enfin veiller à la qualité des services rendus. Les recommandations qu’elle formule, qui touchent à la fois les aspects techniques, financiers et stratégiques des DSP, se veulent au service du renforcement de la capacité des collectivités à maîtriser ces contrats souvent complexes.
« Angle mort » de la commande publique
Premier constat de la Cour : les DSP constituent un « angle mort » dans la comptabilité et la connaissance du poids la commande publique dont elles font partie, au même titre que les marchés.
Pour remédier à cette lacune informationnelle, dont France urbaine partage totalement le constat, elle met en avant l’importance d’un recensement exhaustif des DSP par l’Observatoire économique de la commande publique (OECP). Un tel effort permettrait de combler le « vide statistique » identifié par la Cour, en fournissant des données fiables sur les montants et les données essentielles des DSP.
Comme France urbaine l’appelle de longue date de ses vœux, ces informations seraient également précieuses pour construire une véritable « cartographie nationale des achats publics », incluant les marchés publics et les DSP, et reposant sur des flux budgétaires réels plutôt que sur des montants déclarés ou estimés.
France urbaine insiste sur le fait que cette démarche pourrait être facilitée par des outils technologiques modernes, tels que l’intelligence artificielle, qui pourraient automatiser une partie du traitement des données.
Un renforcement des outils d’aide à la décision
Sur le plan méthodologique, France urbaine soutient la recommandation de la Cour visant à rendre obligatoires des études préalables pour chaque projet de DSP. Ces études permettraient de comparer les avantages et inconvénients des différents modes de gestion et d’éclairer les choix des collectivités de manière objective.
Par ailleurs, l’on peut rejoindre la Cour dans la préconisation contenue dans son rapport de « préciser le contenu du rapport à présenter à l’assemblée délibérante en application de l’article L. 1411-4 du CGCT au titre d’une première délégation de gestion, du renouvellement d’une délégation existante ou d’une reprise en régie d’un service public » et de « prévoir à cet effet une analyse comparative des différents modes de gestion envisageables ».
Dans les faits, les pratiques des adhérents de France urbaine anticipent déjà largement ces exigences procédurales, ceux-ci ayant d’ores et déjà mis en place des pratiques exemplaires en la matière, en développant des grilles d’analyse comparatives ou en normalisant leurs procédures de passation. Ces démarches participent non seulement à la transparence des décisions, mais aussi à la sécurité juridique des contrats.
Des asymétries d’information persistantes
A l’instar de la Cour dans son rapport, France urbaine a tenu à rappeler que « [ses] membres sont unanimes à déplorer une asymétrie constante d’informations avec leurs délégataires » et que « c’est dans l’objectif de combler en partie ce déséquilibre, notamment vis-à-vis des plus gros opérateurs privés, qu[’elle] a créé un groupe de travail spécifiquement dédié aux délégations de service public, réunissant des techniciens qui étaient jusqu’alors peu mis en réseau. »
Le suivi financier des DSP constitue ainsi un point central abordé par les magistrats de la rue Cambon qui soulignent la nécessité que la puissance publique puisse disposer d’une information financière exhaustive, une nécessité que rejoint pleinement France urbaine.
En effet, si les comptes d’exploitation prévisionnels sont généralement inclus dans les offres des délégataires, leur niveau de détail reste souvent insuffisant pour juger précisément des coûts réels supportés par ces derniers. Dans sa réponse à la Cour, France urbaine plaide ainsi pour une meilleure ventilation des frais de siège et leur rattachement à des prestations réellement exécutées dans le cadre du contrat, relevant que « ce niveau de transparence permettrait de prévenir les écarts entre les hypothèses financières initiales et les résultats en cours d’exécution ».
Le plafonnement uniforme de la durée des contrats : une fausse bonne idée
La Cour des comptes met en lumière des différences de régimes juridiques quant à l’encadrement de la durée des contrats entre secteurs et souligne qu’une durée maximale de 20 ans est imposée pour certains domaines comme l’eau ou les déchets, à la différence des autres domaines.
Dans sa réponse, France urbaine indique qu’elle considère que le cadre en vigueur dans les autres secteurs, qui lie la durée des contrats à l’amortissement des investissements, est équilibré et permet de tenir compte des spécificités et du modèle économique de chaque contrat. Elle met en garde contre une limitation uniforme de la durée, qui pourrait nuire à des projets nécessitant des investissements importants et de long terme, notamment dans le contexte de la transition écologique, avec deux risques de nature différente : d’une part, le fait que la durée de contrat soit inférieure au retour sur investissement et soit peu incitative à des développements de l’offre (ex. : desserte de nouveaux quartiers par des réseaux de chaleur urbain) ; d’autre part, le fait que la valeur nette comptable en fin de contrat des biens issus des investissements soit telle que la valeur de rachat constitue une charge pour les finances publiques locales – dans l’hypothèse d’un rachat par la puissance publique – ou, sinon, un « ticket d’entrée » et donc une entrave à la concurrence profitant au délégataire sortant.
Sur ce point, qui a fait l’objet d’alertes appuyées de France urbaine, la Cour, qui faisait de l’alignement à 20 ans de la durée maximale des contrats une recommandation, a retiré cette dernière dans la version finale de son rapport.
SEM : les limites d’une interprétation restrictive de la quasi-régie
Enfin, la Cour estime que la mise en concurrence des DSP soulève des enjeux particuliers notamment lorsque des sociétés d’économie mixte (SEM) participent aux appels d’offres. Elle considère que leurs liens capitalistiques étroits avec les collectivités délégantes peuvent dissuader la concurrence et ainsi biaiser les résultats.
Sans souscrire à cette analyse, France urbaine a profité de l’occasion pour pointer le fait que certaines situations sont le résultat d’une interprétation du champ de la « quasi-régie » ou « in-house » en droit national qui en exclut d’emblée toutes les SEM alors que le droit de l’Union européenne apparaissait dessiner un assouplissement intéressant à cet égard. Ce faisant, il en résulte parfois des obligations de mise en concurrence peu opérantes dans les faits.
L’ensemble des constats dressés par la Cour des comptes ne manquera pas, sans nul doute, de venir nourrir la poursuite des réflexions du groupe de travail de France urbaine consacré aux DSP.