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LE FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS À LA CROISÉE DES CHEMINS

Près d’une centaine de participants ont assisté le 15 novembre dernier au premier webinaire d’un cycle 2024-2025 consacré au financement de l’université française. Co-organisé par l’Association des villes universitaires de France (AVUF), Intercommunalités de France, Villes de France, la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU), Régions de France et France urbaine, ce cycle associe également France Universités et la Conférence des Grandes Écoles.

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L’objectif de ce nouveau temps de travail est de bâtir un socle commun d’acquis, de convictions et de propositions afin d’éclairer les échanges locaux et de pouvoir alerter et mobiliser l’exécutif et les parlementaires. 

Xavier Latour, vice-président délégué à l’Enseignement Supérieur à la Recherche et à la Formation continue à la Métropole de Nice, et administrateur national de l’AVUF délégué au financement des établissements, a ouvert les débats en rappelant que “les interactions entre universités et collectivités territoriales se sont multipliées et densifiées ces dernières années, notamment sur le plan financier ; ces liens nouveaux et hétérogènes vont être mis au défi des contraintes pesant sur les finances publiques dans les prochaines années”. 

Si l’État est et doit en effet rester le principal financeur des universités publiques françaises, via la Subvention pour charge de service public (SCSP), les collectivités, jusque-là sollicitées pour des investissements sur les sites universitaires (via les Contrats plan État-Région – CPER – principalement), sont depuis quelques années appelées à ponctuellement accompagner le volet fonctionnement des dépenses de l’enseignement supérieur. Elles découvrent de ce fait les modalités complexes, voire opaques, de calcul de la SCSP, aboutissant à des inégalités de traitement entre territoires ou établissements.

Parallèlement, le développement rapide et massif de l’apprentissage et de la formation continue place les universités dans un champ concurrentiel et les amènent à mettre en place un modèle économique différent qui les expose à des risques nouveaux qu’elles tentent de compenser par un recours accru aux financements locaux. 

On notera que le contexte budgétaire actuel va impacter la mise en œuvre des CPER alors même que la plupart des projets d’investissement qui y figurent sont révisés à la hausse en raison des coûts de l’énergie et de l’inflation. Parallèlement, l’épuisement des fonds de roulement en 2024 devrait amener une trentaine d’établissements à des budgets déficitaires en 2025. Ce doit être l’occasion d’une prise de conscience de l’ensemble des acteurs concernés. 

Laurent Batsch, professeur émérite de finance d’entreprise à l’université Paris Dauphine, rappelant les principes de financement des universités, a confirmé qu’au-delà des financements publics classiques et récurrents, “on note la part croissante des financements ponctuels sur Appels à Projets, avec les incertitudes que provoquent leur absence de pérennité” ; avec également les inégalités qu’ils peuvent durablement produire entre établissements d’excellence et universités de territoires.

Françoise Raynaud, vice-présidente de l’agglomération de La-Roche-sur-Yon, a pointé l’importance croissante prise par les financements sur AAP (PIA notamment), ce qui peut amener à privilégier les grands établissements au détriment de leurs antennes territoriales et des villes et agglomérations de taille moyenne. Ces territoires sont en effet rarement associés aux discussions stratégiques et contractuelles entre les établissements et l’État. 

Laurent Batsch a tempéré d’autres inquiétudes exprimées actuellement : une révision à la baisse des modalités de prise en charge de la taxe d’apprentissage pourrait réduire l’attractivité de ce dispositif et sa part dans le financement des établissements, mais cet impact devrait rester marginal et ne pas obérer son intérêt pour les étudiants et pour les connexions qu’il renforce entre les universités et les acteurs économiques. Quant aux droits d’inscription, ils représentent 2,5 % des recettes des établissements, ce qui ne peut pas en faire un levier majeur dans la diversification des recettes. On rappellera que ces droits sont à ce stade fixes dans le public et libres dans le privé. 

Enfin, pour Laurent Batsch, les capacités d’emprunt des universités, si elles sont fortement bridées par les craintes du ministère de l’Économie et des Finances d’un impact sur la notation de la France, n’excluent pas quelques possibilités de contourner cette réticence ; les SULI ont notamment été conçues pour s’y adapter ; les fondations sont un autre dispositif pertinent en ce sens.

Jean-Marc Ogier, président de La Rochelle Université, et du Conseil des Personnels et des Moyens de France Universités, a lui aussi souligné que “depuis l’engagement de la phase d’autonomisation des universités, leurs ressources se sont fortement diversifiées et que le soutien de l’État s’est lui-même scindé en plusieurs dispositifs, créant et accentuant les différences de modèles financiers entre établissements”. La SCSP est calculée chaque année sur la base de l’année N-1 avec quelques ajustements, sans réelle prise en compte de l’augmentation du nombre global d’étudiants et de leur répartition géographique. À long terme, ces déséquilibres peuvent générer de véritables inégalités territoriales : le taux d’encadrement des étudiants peut actuellement atteindre un écart de 1 à 6 entre des universités parisiennes et montpellieraines… 

La logique de site permet une meilleure coordination territoriale et une approche déconcentrée des questions universitaires, mais elle n’est pas corrélée aux questions de financement et de contractualisation. Les Contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), négociés sur trois ans amorcent une discussion dynamique avec l’État mais n’interviennent qu’à la marge dans les financements des établissements. S’ils sont demain ouverts à l’ensemble des collectivités et assortis d’engagements financiers représentatifs, peuvent être un horizon de travail pour les territoires. 

David Ros, sénateur de l’Essonne, membre de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, et vice-président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné combien les perturbations que connait actuellement le cadre budgétaire national peut fragiliser voire amoindrir le soutien financier des collectivités aux établissements universitaires. Ce sujet est trop peu mis en avant au Parlement, où un faible nombre d’élus se mobilise sur les questions universitaires ; les associations de collectivités ont donc un rôle à jouer pour mieux mettre cette problématique en évidence. 

Florent Saint-Martin, vice-président habitat, urbanisme, foncier, enseignement supérieur et politique de la ville de la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole et vice-président du conseil départemental de Seine-Maritime a rappelé l’importance du soutien direct des grands EPCI au développement universitaire (au Havre : 2 600 € par an et par étudiant depuis 10 ans). Cet engagement s’accompagne aussi d’investissements “indirects” dans les services apportés aux étudiants, notamment dans les mobilités, le logement ou la vie étudiante. Comme l’ont souligné les travaux du réseau ESR / Bloc local en 2023-2024, les demandes croissantes des établissements privés impactent aussi l’engagement financier les collectivités.

“L’enseignement supérieur mérite que les acteurs publics nationaux et locaux travaillent de concert pour donner à ses représentants une garantie et une visibilité financière à moyen et long terme” a-t-il conclu. Les interactions entre financement et aménagement universitaire équitable du territoire ressortent comme un enjeu majeur de ce premier webinaire. Le prochain abordera les dimensions plus locales et européennes de ces ressources pour les établissements. 

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