FAUT-IL ALLER VERS UNE PLATEFORME UNIQUE DE DÉMATÉRIALISATION DES MARCHÉS PUBLICS ?
La loi de simplification de la vie économique actuellement en première lecture au Sénat contient deux dispositions relatives à la commande publique : la (très décriée) unification du droit du contentieux, et la généralisation de la plateforme de dématérialisation de l’État (PLACE) à l’ensemble des acheteurs publics … sauf (pour l’instant) pour les collectivités, qui pourront toutefois y adhérer sur la base du volontariat.
Ce “volontariat” pourrait n’être qu’éphémère, et le Gouvernement ne semble pas exclure l’extension de l’obligation aux collectivités lors des débats, ou ultérieurement, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, estimant en commission spéciale du Sénat le 14 mai, que “cela simplifierait la vie de nos entrepreneurs”.
Faut-il aller dans cette direction ?
Sur le papier, la centralisation des appels d’offres sur une seule et même plateforme apparaît comme un horizon souhaitable. Pour les entreprises, il serait à l’évidence plus simple de n’avoir qu’un seul point d’entrée pour identifier, de façon exhaustive, toutes les consultations auxquelles elles sont susceptibles de répondre. Pour les acheteurs, cela permettrait de s’affranchir des coûts de mise en œuvre : fonctionnement, développement des diverses personnalisations, renouvellement périodique des marchés des éditeurs, etc.
Dans la vraie vie, il y a un existant qui ne peut être ignoré. Le mouvement de dématérialisation des marchés publics, entamé au début des années 2000, ne s’est pas accompagné d’une réflexion sur le déploiement d’une plateforme nationale, qui n’aurait probablement pas été contestée à l’époque. Et c’est dans ce vide que de nombreux éditeurs se sont légitimement engouffrés en développant leurs propres solutions, donnant naissance à la myriade d’outils que l’on connaît aujourd’hui.
Conscient que cette fragmentation était source de complexité tant pour les entreprises que pour la consolidation des données de l’achat public au niveau national, l’État a engagé, en 2017, le chantier de la Transformation numérique de la commande publique (TNCP), visant à garantir un minimum d’interopérabilité. S’il a permis quelques avancées, certaines des mesures promises, notamment la possibilité qu’une entreprise puisse utiliser la plateforme d’un acheteur pour répondre à l’appel d’offres d’un autre acheteur, se sont avérées de véritables “usines à gaz” qui n’ont jamais vu le jour.
Sans attendre l’État, les collectivités ont elles-mêmes pensé et déployé des plateformes mutualisées à des échelles intercommunales ou régionales (Megalis en Bretagne, Maximilien en Île-de-France, etc.), qui ont rencontré un vif succès en se transformant progressivement en véritables outils d’animation, et auxquelles se sont parfois greffées d’autres services (exemple : le cas de “Territoires numériques” en Bourgogne). Ces plateformes ont démontré leur pertinence, et cette maille territoriale déconcentrée ne peut être ignorée dans le débat actuel.
Les technologies ont par ailleurs évolué
Des outils dits de “scraping” permettent aujourd’hui de consolider relativement facilement des procédures émanant des différentes plateformes, et de les regrouper par segments. L’Intelligence artificielle (IA) devrait assez logiquement permettre d’aller encore plus loin dans cette direction.
Ces évolutions du paysage et des technologies ne disqualifient pas l’idée d’une plateforme universelle, mais en relativisent l’urgence : il est possible de prendre le temps de la construction collective et réfléchie d’un outil qui prendrait en compte tous les usages et besoins d’aujourd’hui, et d’organiser dans l’intervalle le regroupement en un seul lieu de l’ensemble des avis d’appel à concurrence via une plateforme “aspirant” les données des différentes plateformes existantes actuelles.
Car force est de constater que la plateforme des achats de l’État (PLACE) n’a pas toujours donné entièrement satisfaction, au point que certains grands donneurs d’ordre l’ont quitté pour rejoindre d’autres plateformes (c’est le cas de l’UGAP en 2020). Il est donc légitime d’envisager le développement d’un nouvel outil véritablement open source, basé sur des technologies plus modernes, et prenant en compte, dès sa conception, non seulement la question de la data et de son reporting – notamment en matière d’achat durable -, mais aussi de l’interfaçage avec les SI (Système d’information) achats existants et les SI financiers, encore trop souvent oubliés de l’équation. L’Adullact pourrait probablement en assurer la maîtrise d’ouvrage.
Cet outil devrait par ailleurs permettre de garantir une animation territoriale dans des espaces décentralisés, pour maintenir la dynamique créée par les plateformes régionales évoquées précédemment… ce qui pose également en creux la question de la gouvernance, car PLACE est aujourd’hui sous une double tutelle AIFE/DAE, dont les autres acheteurs publics – au premier rang desquels les collectivités – sont absents. Cette réflexion sur le nécessaire élargissement de la gouvernance devrait être conduite dans le souci d’une meilleure réactivité à traiter les évolutions.
La création d’une plateforme unique et universelle pose enfin la question de la pertinence du maintien des publications au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP), qui n’ont plus guère de sens si tous les avis d’appels publics à concurrence sont déjà regroupés dans un même endroit. Et si les avis au BOAMP sont supprimés, quid du maintien d’un seuil intermédiaire de publication à 90 000 € ?
Cette suppression, par ailleurs justement proposée par le rapport Ravignon, constituerait assurément une vraie simplification pour les acheteurs.