QU’EST-CE QU’UNE DETTE VERTE ?
Le gouvernement a introduit dans le Projet de loi de finances (PLF 2024) une disposition visant à identifier une « dette verte » des collectivités. Devons-nous nous en féliciter ?
Disposition miroir en recettes de l’article 49 decies instaurant une nouvelle annexe « impact du budget pour la transition écologique » visant à faire apparaître les dépenses d’investissement alignées avec certains axes de la taxonomie européenne – parfois improprement désignée comme une « généralisation des budgets verts ») – l’article 49 undecies ambitionne symétriquement, mais de façon facultative, d’identifier la fraction de l’encours des dettes des collectivités concourant à la transition écologique.
Mais qu’est-ce qu’une dette verte ? Dans l’absolu, la seule vraie dette écologique, c’est celle contractée vis-à-vis d’écosystèmes mobilisés dans le cadre de l’activité ou de l’exercice des compétences d’une entité.
C’est la dette écologique au sens de la compatibilité CARE – conceptualisée par Alexandre Rambault et Jacques Richard et dont France urbaine a présenté les travaux à plusieurs reprises -, qui correspond peu ou prou aux coûts de préservation ou de restauration des écosystèmes dégradés par l’activité.
On peut considérer que c’est à ce même concept de dette écologique que se référait Christophe Béchu lorsqu’il déclarait en février dernier que « le climat est un usurier [et que] tout ce que je ne fais pas aujourd’hui me coûtera plus cher demain ».
Mais ça n’est évidemment pas cette définition qui a été retenue dans l’amendement déposé par Pierre Cazeneuve, qui ambitionne plus prosaïquement « de pouvoir identifier ces investissements dans un état annexé dédié [et de] permettre de multiplier les projets dont la période d’amortissement est parfois très longue et peut donner accès à des financements spécifiques ».
Il ne s’agit donc pas – en tout cas pas encore – de réserver un traitement comptable spécifique à cette fraction de dette (en calculant par exemple une capacité de désendettement dont elle serait expurgée), mais bien de permettre à des élus de justifier d’un recours plus important à l’endettement pour accélérer les investissements liés aux transitions écologiques, considérant comme le rappelait le directeur général de la Caisse des Dépôts Eric Lombard, que « la dette écologique est plus importante à traiter que la dette financière ».
Sur le fond, France urbaine ne peut donc que souscrire à cette forme de réhabilitation de la dette.
Mais cette disposition, rappelons-le facultative, pourrait aussi introduire subrepticement un glissement de modèle, où le financement budgétaire global se verrait progressivement remplacé par un financement par projet, donnant ainsi aux financeurs un pouvoir de sélection qu’ils pourraient être d’autant plus enclins à utiliser qu’il leur permettrait incidemment de mieux remplir leurs propres obligations de reportings en matière d’investissement climat.
Ce risque bien réel d’un arbitrage projet par projet, rappelé récemment par Yves Millardet et Philippe Laurent dans La Tribune et que l’État ne répugne pas lui-même à utiliser (ex : fonds vert), avait été pointé par France urbaine lors des débats parlementaires, qui avait proposé de rappeler la règle de non-affectation de l’emprunt a minima dans l’exposé des motifs de l’amendement de M. Cazeneuve.
À défaut d’avoir été entendus sur ce point, nous serons particulièrement vigilants lors des futures discussions sur les modalités de mise en œuvre de cet article, lorsque seront notamment décidées des règles de détourage de cette nouvelle dette verte…