Lois de finances : quel bilan à l’aune des priorités de France urbaine ?

Rarement une saison de lois de finances n’aura été autant sujette à rebondissements et aussi dense.
Rarement une « saison de lois de finances » (projet de loi de finances initiale pour 2023 -PLF23-, second projet de loi de finances rectificative -PLFR 2 22- et projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 -PLPFP-) n’aura été autant sujette à rebondissements et, surtout, été aussi dense en enjeux pour les finances des grandes villes, grandes communautés et métropoles. Rapide passage en revue du sort des principales dispositions sur lesquelles France urbaine s’est plus particulièrement mobilisée.
Lorsque l’on compare les textes initiaux et les textes issus de l’examen parlementaire (et de la mise en œuvre d’une série de 49-3 par le gouvernement), on peut, schématiquement, distinguer les sujets qui, du fait d’une réelle écoute de l’exécutif, ont bénéficié d’avancées à saluer, des sujets sur lesquels ce sont des renoncements (nécessairement provisoires) qui ont prévalu et, enfin, d’un sujet sur lequel prévaut un ressenti de « hold-up », synonyme de bataille à poursuivre.
Ecoute et avancées
L’abandon de la contractualisation individuelle
Le parti pris de la version initiale de la PLPFP consistant à ce que l’association des collectivités au redressement des comptes publics leur impose un niveau d’effort supérieur à ce que l’Etat prévoyait pour lui-même, et soit synonyme de retour d’une contractualisation individuelle et du spectre d’une pénalisation financière, a conduit à ce qu’une majorité de députés et de sénateurs rejette le texte initial issu du conseil des ministres.
Face à cette levée de boucliers, et après avoir accepté de réouvrir le dialogue, le gouvernement a infléchi sa position et France urbaine a salué par voie de communiqué de presse le fait que la voix de l’association ait été entendue. Au terme des derniers échanges avec Matignon, il était prévu que l’on en revienne à l’essence d’une loi de programmation des finances publiques, laquelle vise à tracer une trajectoire financière globale et n’a pas pour objet de s’attacher à des engagements individuels. C’était donc une logique d’objectif d'évolution globale des dépenses locales (ODEDEL) qui devait prévaloir, c’est-à-dire celle d’un outil de régulation des dépenses qui aurait conduit à ce qu’au printemps 2024, sur la base des comptes 2023, soit établit le respect, ou non, d’une norme de dépense (fonctionnement et investissement confondu) égale à inflation -0,4%.
Mais le 15 décembre, au moment de l’ultime ligne droite des négociations, la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) de première lecture s’est finalement conclue par un désaccord synonyme de non-promulgation du texte d’ici la fin de l’année. Pour autant, le parcours parlementaire du texte n’est pas clos, et si l’on peut penser que si l’exécutif ne va pas prioriser ce texte dans la suite de la navette parlementaire, il devrait néanmoins s’attacher à l’entrée en vigueur d’une loi de programmation d’ici à fin 2023 (théoriquement nécessaire pour débloquer les fonds du plan de relance européen).
Des modalités de compensation de la suppression de la CVAE respectueuses de l’engagement des EPCI en faveur du développement économique de leurs territoires
« La dynamique de la TVA (allouée aux EPCI en compensation de la CVAE) sera répartie dès 2023 en tenant compte du développement de l’activité économique. Les communes doivent être intéressées à l’accueil d’entreprises sur leur territoire ». Il aura fallu attendre le discours de la Première ministre devant le Congrès des maires pour lever toute ambiguïté sur le parti pris de compensation ; et il aura fallu que la communication gouvernementale anticipe l’aboutissement du débat parlementaire (« pour le bloc communal, sa dynamique sera répartie selon des critères économique de taille (surface et effectifs) des entreprises ») pour que soit atteint l’objectif de territorialisation de la compensation, lequel avait été priorisé par France urbaine. Place désormais à la rédaction du décret qui devra en préciser les modalités opérationnelles.
En ce qui concerne les masses financières en jeu, l’arbitrage de Matignon, confirmant que l’engagement de compensation « à l’euro près » signifiait bien que la totalité de l’impôt versé par les entreprises avant sa suppression, tout comme ce qu’aurait dû verser l’Etat sous forme de dégrèvement barémique, devait être pris en compte dans le socle de la compensation, a conduit à ce que les collectivités membres de France urbaine voient leur enveloppe de compensation accrue, chaque année, de 75 à 90 M€ de plus que ce qui figurait dans le texte initial du PLF. C’est en effet ce que provoque l’intégration du millésime virtuel de 2023 dans le calcul de la moyenne quadriennale 2020-2023. Pour autant, on peut regretter que la demande de France urbaine visant à ce que le solde de 650 M€, entre l’assiette de compensation et la CVAE que les collectivités auraient touché au titre de 2023, puisse bien être compensé de façon pérenne n’ait pas été satisfaite. En effet, le gouvernement a préféré abonder le Fonds vert à hauteur de 500 M€ (passant ainsi de 1,5 à 2 Md€ mais qui bénéficieront à davantage de collectivités que celles privées de CVAE), ainsi que les crédits des SDIS, à hauteur de 150 M€.
Des réponses a priori opérationnelles pour aider les collectivités à faire face à l’explosion des coûts de l’énergie
Le parti pris initial consistant à fonder le « filet de sécurité » pour 2023 sur la mesure de la loi de finances rectificative de l’été 2022 (filet inflation 2022), elle-même inspirée des dispositifs retenus lors de la crise sanitaire (lesquels se sont révélés très largement inopérants pour les grandes collectivités), avait conduit France urbaine à se rapprocher de la commission des finances du Sénat afin que le filet de sécurité puisse passer du statut de mesure n’atteignant clairement pas les objectifs affichés, à celui de réponse potentiellement efficace.
Si l’on peut regretter que ce ne soit en définitive pas la version sénatoriale de l’article 14 ter du PLF qui ait prévalu, on peut néanmoins relever les avancées finalement acceptées par le Gouvernement :
- seuil d’éligibilité ramené de 25 à 15% (en termes de baisse d’épargne brute entre 2022 et 2023)
- dotation égale à 50% (et non plus 40%) de la différence entre l’augmentation des dépenses d’approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain entre 2023 et 2022 et 50 % de celle des recettes réelles de fonctionnement entre 2023 et 2022
- prise en considération des dépenses au titre du budget principal et des budgets annexes de chaque collectivité ou groupement, ainsi qu’au titre des subventions consenties aux délégataires (“fermiers et concessionnaires”)
- demande d’acompte possible avant la fin de l’exercice budgétaire et la production du compte de gestion 2023 au printemps 2024.
Dès lors, le décret d’application est attendu avec impatience, tout comme l’est celui relatif au dispositif dit de « l’amortisseur électricité » visant quant à lui à réduire à la source le coût de la facture.
Pas de plafonnement de la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives des locaux d’habitation
Alors que d’entrée de jeu la commission des finances de l’Assemblée nationale avait cédé au lobbying des fédérations de propriétaires fonciers pour modifier la loi en vigueur afin de plafonner de moitié la prise en considération de l’inflation dans la revalorisation des bases fiscales, cette velléité n’a finalement pas été confirmée. Le chiffre résultant de l’application des dispositions légales pour la revalorisation 2023 (« IPCH novembre 2022 / novembre 2021 ») est désormais connu : il s’établi à 7,1%.
Au-delà de l’apparente technicité du sujet, c’est la perte de 2 milliards d’euros de ressources pour les collectivités qui a été évitée grâce au déploiement d’un argumentaire rappelant que :
- en 2021 et en 2022 les revalorisations se sont révélées être bien inférieures à l’inflation (respectivement 0,1 vs 1,4% d’inflation et 3,4 vs 5,4% d’inflation) ;
- les contribuables concernés bénéficient de la suppression de la taxe d’habitation ;
- un changement de la règle aurait conduit à opérer un transfert de responsabilité aux dépens des exécutifs locaux.
Une attention accordée à l’équilibre économique des usines d’incinération des déchets
Dans sa transposition initiale de l’accord européen sur le secteur de la production d’électricité visant à capter la rente dite « inframarginale » (afin de contribuer au financement du bouclier énergétique), le gouvernement avait fixé un seuil général de prélèvement à 60 euros / Kwh. Un tel seuil eut été ignorant des spécificités de la production d’énergie découlant de l’activité des usines d’incinération et aurait, in fine, été un facteur supplémentaire de hausse des taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM).
Fort heureusement, la mobilisation a payé et le point d’équilibre a finalement été arrêté à 145 €/Kwh pour l’électricité produite à partir de l’incinération de déchets (et à 175 €/MWh pour l’électricité produite à partir de la combustion de biogaz).
100 millions d’euros pour consolider l’autofinancement des autorités organisatrices de la mobilité
Une des toutes dernières évolutions du PLF a porté sur son article 26, lequel a concrétisé l’ouverture d’une ligne budgétaire de 100 millions d’euros au bénéfice des AOM non franciliennes. Les termes du courrier du ministre chargé des transports annonçant cette opportune initiative gouvernementale sont éclairants : « (…) pour soutenir le maintien de l’offre de transports collectifs et la poursuite de leur effort d’investissement, en cohérence avec nos objectifs de transition écologique. Cette aide doit également éviter aux usagers des augmentations de tarif (…) ».
En voie d’aboutissement, la réflexion relative à la répartition de cette enveloppe devrait a priori privilégier une clé fondée sur les consommations constatées de gaz et d’électricité.
L’allongement de la garantie de sortie d’éligibilité au FPIC
Alors qu’un consensus s’était dégagé il y a un an pour allonger la durée de la garantie de sortie progressive de perte d’éligibilité au fonds de péréquation intercommunal et communal (FPIC), sans pour autant que cela aboutisse du fait des aléas du cheminement du projet de loi de finances discuté à l’automne 2021, l’amendement de nouveau proposé à l’article 45 pour faire passer d’un à quatre ans cette durée a pu, cette fois-ci, être adopté. Une illustration du fait qu’en matière de lois de finances, les échecs d’un millésime peuvent devenir des succès dans le texte suivant …
Des renoncements ( … nécessairement provisoires)
Un malencontreux décalage de l’agenda de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation
Par voie de communiqué de presse, France urbaine avait exprimé sa surprise et, surtout, sa totale opposition au report de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation découlant d’un amendement du Gouvernement introduit sans concertation.
On se souvient qu’il y a 3 ans, concomitamment au débat sur la suppression de la taxe d’habitation, les associations d’élus en général, et France urbaine en particulier, avaient ardemment souhaité que soit resserré le calendrier de la révision (recueil des déclarations de loyer en 2023 dans la perspective d’une intégration prévisionnelle des bases rénovées dans les rôles 2026). Face à ces demandes, le gouvernement avait alors fait valoir que l’engagement de la première phase, à savoir le recueil de la déclaration des loyers, nécessitait que l’outil ad-hoc (GMBI pour « Gérer Mes Biens Immobiliers ») soit pleinement opérationnel, ce qui est le cas depuis plusieurs mois du fait des diligences de la DGFIP.
S’il est important que l’amendement de suppression du report proposé par France urbaine ait été adopté à la Chambre Haute avec les voix de sénateurs appartenant à un grand nombre de groupes politiques, cela n’a pas pour autant conduit le gouvernement à entendre la voix des élus. Et l’article du PLF actant du report a malheureusement été rétabli à l’occasion d’un des ultimes 49-3.
La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour convaincre les collectivités que c’est à tort qu’elles craignent que ce nouvel épisode de procrastination ne signifie pas pour autant que l’Etat accepte de voir perdurer des inégalités entre propriétaires fonciers du fait de l’obsolescence des bases fiscales et renonce à permettre aux communes et intercommunalités de disposer de ressources modernisées et cohérentes avec les missions qui sont les leurs.
Lien entre les taux : lorsque la défiance prévaut sur le pragmatisme
Autre exemple d’amendement adopté au Sénat mais finalement supprimé de la version définitive du PLF à l’initiative du gouvernement, celui visant à ne pas subordonner la politique fiscale sur les résidences secondaires à celle mise en œuvre à l’égard des entreprises, en corrigeant une disposition établie au moment de la suppression de la taxe d’habitation.
Alors que l’on aurait pu penser qu’au moment où les collectivités retrouvent un pouvoir de taux sur la taxe d’habitation résidences secondaires, les effets de bords induits par la substitution de la taxe d’habitation (acquittée par les ménages) par la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB, acquittée par les ménages mais également par les entreprises) comme « impôt pivot » en ce qui concerne les règles de lien entre les taux, auraient pu être corrigés, il n’en a rien été. La défiance de Bercy à l’égard du pouvoir de taux des exécutifs locaux prenant paradoxalement le pas sur le traditionnel souci de protection du contribuable entreprise.
La réintégration des opérations d’aménagement dans l’assiette du FCTVA de nouveau repoussée
Autre convergence d’objectif entre élus locaux et parlementaires et, malheureusement, autre attente déçue : la réintégration des opérations d’aménagement dans l’assiette du FCTVA. C’est le compte rendu des débats du Sénat (séance du 23 novembre) qui reflète le mieux le caractère urticant que ce sujet est en train de prendre dans les relations financières entre élus et Etat : « Le ministre de l’Économie a pris des engagements (lors de l’examen du PLFR estival). Pourtant, lorsqu’on vous écoute, monsieur le ministre, on a l’impression de « se faire balader ». Et cela fait plus d’un an que cela dure… Encore une fois, des engagements ont été pris par le Gouvernement ».
La pluriannualité des délibérations relatives aux répartitions dérogatoires du FPIC : des propos gouvernementaux encourageants
Si lors de l’examen au Sénat, un amendement est adopté nonobstant un avis défavorable du gouvernement, son sort définitif est trop souvent scellé. Pour autant, les termes utilisés par le ministre au banc pour justifier son avis peuvent quelquefois plus porter sur la forme que sur le fond, et alors constituer une invitation à reprendre langue avec l’administration pour parfaire une rédaction devant être pleinement appropriée par cette dernière.
Tel est le cas de l’amendement proposé par France urbaine pour éviter aux exécutifs locaux d’avoir à redélibérer chaque année lorsqu’ils souhaitent retenir des clés de répartition du FPIC (soit du prélèvement, soit du bénéfice) qui soient adaptées à leur propre contexte territorial. A cet égard, les termes exprimés par le ministre au banc (le 30 novembre) constituent un encouragement à persévérer : « Votre amendement est susceptible de conduire à une meilleure appropriation du produit du FPIC. Toutefois, des difficultés spécifiques pourraient se poser (…) mais la réflexion est ouverte ».
Hold-up sur la fiscalité des logements vacants
En instrumentalisant les élus des petites communes touristiques dont une préoccupation majeure était de pouvoir instituer la majoration sur la taxe d’habitation des résidences secondaires, en permettant à des députés de la majorité dont le souci est plus de s’afficher en faveur d’une préoccupation médiatique que d’apporter des réponses opérationnelles aux élus de terrain, le gouvernement a réussi :
- à affecter un produit fiscal supplémentaire au budget de l’Etat (par augmentation du taux de la taxe sur les logements vacants –TLV-, par élargissement de l’assiette de la TLV aux dépens de la THLV), alors même que la lutte contre la sous occupation nécessite l’engagement de moyens budgétaires des collectivités locales ;
- à maintenir une inégalité majeure entre les territoires considérés comme non-denses, qui peuvent lever la THLV (qui abonde leurs budgets locaux) et les territoires denses, qui ne disposent pas de levier équivalent au service de leur budget ;
- à ne pas répondre aux difficultés rencontrées du fait du flou qui régit la catégorisation de la vacance par les services fiscaux.
Dès lors que la mobilisation de France urbaine a contribué à faire bouger les lignes de l’architecture baroque qui régit la fiscalité des logements sous-occupés, et même si, à l’issue de ce Projet de loi de finances, l’évolution des textes est complètement insatisfaisante, il est prioritaire de poursuivre notre engagement sur ce dossier ! A cet égard, il est nécessaire en particulier d’appeler de nouveau à ce que cette taxe nationale sur les logements vacants, dont le produit abonde les recettes de l’Etat sans contribuer nullement à lutter contre la vacance, soit mise au service des politiques locales de l’habitat.