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Stratégies alimentaires territoriales
Commande publique

La restauration scolaire, un levier essentiel de transformation des systèmes alimentaires territoriaux

03/11/2022

France urbaine mène une réflexion sur la capacité de la restauration scolaire et collective à changer les pratiques de consommation au niveau local.

Co-animée par Christian Grancher, Vice-président de la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole et Audrey Pulvar, adjointe à la Maire de la Ville de Paris, la commission "Stratégies alimentaires territoriales” de France urbaine s’est réunie à Dijon le 14 octobre 2022 pour aborder les approches systémiques en matière d'alimentation.

L’”Alliance des territoires” des stratégies alimentaires

Depuis 2018 et la déclaration « Pour une Transition en faveur d’une alimentation durable, responsable et solidaire », signée par 75 collectivités et groupements, France urbaine met en avant le rôle assumé par les territoires urbains en tant que pôles de consommation en vue de remodeler le territoire et ses filières et d'assurer une transition vers des systèmes alimentaires plus durables.
 
Dynamisées par les lois EGALIM (2018 et 2021), AGEC (2020) et Climat et Résilience (2021), ces stratégies déjà bien ancrées s'inscrivent dans un espace d'interaction plus global dépassant largement leurs frontières administratives : espace des bassins versants, espaces de production et de préservation du foncier... La commission “Alliance des territoires” de France urbaine avait déjà mis en avant les stratégies de soutien aux productions locales et durables assises sur la préservation des bassins de captage mises en œuvre par Rennes Métropole, la Ville de Rennes et Eau du Bassin rennais.

A Paris, la dimension interterritoriale au cœur des dispositifs de transition alimentaire

Avec 30 000 000 de repas servis chaque année dans les cantines parisiennes, la Ville de Paris mobilise à la fois ses compétences départementales et municipales en vue de déployer une stratégie de transformation du territoire bien au-delà de son périmètre. En 2009, à l'occasion du premier plan alimentation durable dans la restauration collective publique, l'agriculture biologique représente 7 % des volumes servis dans la restauration collective parisienne et seulement 2 % des surfaces agricoles utiles en France (et moins d'1 % en Île-de-France). Dès 2019, la Ville atteint 53,1 % de produits durables et de qualité dans sa restauration collective. Le Plan Alimentation Durable 2022-2027 vise désormais 75 % d’alimentation issue de l’agriculture biologique et l'introduction de deux repas végétariens par semaine avant le 1er septembre 2023.

En cours de préfiguration l'outil Agriparis vise à accélérer la mobilisation de l'ensemble des acteurs et territoires d'approvisionnement intégrant notamment dans une logique de solidarités territoriales, le renforcement des partenariats avec les territoires ruraux, l'accompagnement de la contractualisation avec des intermédiaires locaux, et la mise en relation à destination des acheteurs de la restauration collective. Un tel modèle correspond à la structuration et montée en puissance à une échelle conséquente d'actions déjà mise en œuvre sur d'autres territoires : contrats de réciprocité, groupements d'achat etc.

La restauration scolaire et le "mieux manger", des résultats encourageants

Les stratégies présentées mettent en avant le rôle de la restauration scolaire comme levier pour fonder une transformation en profondeur des pratiques de consommation. Le rôle de l’accompagnement éducatif déployé dans les cantines mais également l’importance de la formation des professionnels sont soulignés. Cette structuration de filière par la demande vise à assurer en retour des débouchés aux producteurs et à se diffuer sur l’ensemble de la restauration hors foyer. Dans un contexte d’inflation sur le champ de l’alimentation ces stratégies tentent de trouver le juste point d’équilibre entre soutenabilité budgétaire, accessibilité financière et juste rémunération des producteurs.

A Dijon Métropole, une stratégie de transition alimentaire qui s’inscrit dans la démarche Territoire d'innovation grande ambition

Constituée en lien étroit avec la Ville centre et les communes de la Métropole ainsi que l'ensemble des acteurs du territoires, cette stratégie articule l'ensemble des dimensions de l'alimentation autour de l'objectif fédérateur du "mieux manger" : renforcement du recours aux légumineuses, appui à l'introduction de nouvelles filières, accompagnement des pratiques en partenariat avec l'INRAE, living lab, déploiement d'outils en régie de production et de transformation (légumeries) aux capacités modulables en vue de s'adapter à l'arrivée de nouveaux producteurs et de couvrir l'ensemble des besoins de la restauration collective du territoire. Les débouchés ainsi créés sont vecteurs de sécurité et d’attractivité pour les producteurs. Assise sur une maîtrise des outils, des commandes et des menus via le choix de la régie, cette stratégie s’efforce, dans un contexte d’inflation, de trouver l’équilibre entre accessibilité financière et juste rémunération des producteurs. Ces choix se doublent d’une série de mesures déjà mises en œuvre dans de nombreux territoires articulant équilibre nutritionnel des repas, augmentation de la qualité des denrées, travail sur les quantités, lutte contre le gaspillage, rééquilibrage entre protéines animales et végétales...

Rendre compte, mobiliser et fédérer
Si les projets alimentaires de territoire se construisent à l’échelle des bassins de vie, la structuration d’une politique d’alimentation renvoie à l’articulation de différentes échelles d’intervention, de l’échelon local à l’échelon international. L’évaluation des impacts des actions menées au niveau local constitue de ce fait un enjeu central, de nature démocratique en premier lieu en vue de rendre compte aux citoyens mais plus largement à l’ensemble des acteurs impliqués de la réponse donnée à des enjeux d’intérêt général aux dimensions multiples. Adossée à un conseil scientifique, la stratégie de transition alimentaire de Dijon Métropole intègre ainsi un axe visant à définir des indicateurs d’évaluation sur trois champs : environnement, cohésion sociale et tissu économique.
 
Dans un contexte de réflexion sur les outils d’une planification écologique territoriale, l'évaluation et l'implication des territoires dans la construction de ces indicateurs constituent également un élément central en matière de gouvernance. Il s’agit notamment de donner à voir la place de chaque acteur dans la mise en œuvre d'une politique publique qui se joue à plusieurs échelles, mais également de favoriser le bon équilibre entre confiance et responsabilité dans la contractualisation entre État et territoires. L’échelon local doit ainsi pouvoir mobiliser les échelons intermédiaires et supérieurs en vue de répondre aux écueils rencontrés sur le territoire : aide à l’installation et à la formation, déploiement de stratégies foncières renforcées, etc.

Vers une autorité organisatrice de l'alimentation durable

A l'encontre d'analyses tendant à standardiser le portage d'une compétence alimentation au profit d'un échelon de collectivités, de telles stratégies donnent à voir des portages différenciés en fonction du territoire initiés tantôt par la ville, tantôt par la métropole, quand sur d'autres territoires les pays, les parcs ou encore le département peuvent assumer ce rôle d'ensemblier. L'observation plaide ainsi en faveur d'une autorité organisatrice de l'alimentation durable telle que le proposait France urbaine dans le cadre de sa contribution aux travaux autour du rapport du sénateur Marchand relatifs aux projets alimentaires territoriaux. La notion d'approvisionnement "local" et les enjeux de relocalisation sont différenciés en fonction des territoires et ne peuvent s'apprécier de manière uniforme, ce qui conforte la structuration de ces enjeux à l'échelle de projets alimentaires de territoire articulés avec l'ensemble des échelles d'intervention.

Pour une exception alimentaire et agricole dans la commande publique

La capacité de structuration de filière et d'appui au tissu productif par l'aval mise en avant par les territoires urbains ne rend pas pour autant caduque la nécessité de faire muter le cadre de la commande publique en vue de se mettre en cohérence avec les objectifs assignés notamment aux projets alimentaires territoriaux (Article L111-2-2 Code rural et de la pêche maritime).
 
L'exception agricole et alimentaire dans la commande publique est ainsi portée par de nombreux acteurs et associations au niveau national et européen, parmi lesquels Un plus bio en lien étroit avec les travaux de François Collart Dutilleul au sein du programme Lascaux (François Collart Dutilleul, Nourrir. Quand la démocratie alimentaire passe à table., Les liens qui libèrent, 2021), l’association des maires de Frances en lien avec les réflexions portées par Gilles Pérole, adjoint au maire de la ville de Mouans-Sartoux et président de la commission restauration scolaire de l’AMF. Le réseau Agores en partenariat avec l'Institut de la commande publique rappelait également dans son Livre blanc remis en 2022 que : "D’autres secteurs d’achats ont déjà été exonérés de tout formalisme concurrentiel propre aux marchés publics, et sont actuellement hors du champ des directives européennes encadrant ces contrats. Il ne s’agit pas d’une originalité qui n’a jamais été consacrée. Nous plaidons donc en faveur d’un changement des process achats, autour de trois axes : promouvoir un approvisionnement raisonné de l’échelle de la collectivité locale de base jusqu’à l’échelle mondiale, pour les achats de denrées alimentaires ; adopter des incitations normatives en faveur d’achats riches en qualités nutritionnelles, respectueux de l’environnement, garants d’une sécurité alimentaire de proximité ; et développer une communication auprès des consommateurs finaux sur les richesses territoriales de chacun des pays membres de l’Union européenne." (Réseau Agores, Institution de la commande publique, Livre blanc destiné aux instances européennes. De la ferme à la table : pour une exception des achats publics alimentaires européens et la création de "journées culinaires européennes, 2022)
 
France urbaine se saisissait quant à elle de cet enjeu dans le cadre de sa contribution aux travaux du sénateur Marchand soutenant ainsi le fait "qu’un volume des appels d’offre au montant à définir puisse être alloué sans formalisme aux producteurs intégrés dans le périmètre d’un Projet alimentaire territorial. Cette disposition viserait à combiner enjeux de relocalisation et enjeux d’ouverture et libre accès au sein d’un périmètre donné caractérisé par 1.sa transparence 2.des modes de gouvernance ad hoc 3.des enjeux d’intérêt général préalablement définis dans le diagnostic partagé dont la sécurisation des approvisionnements et la résilience territoriale à moyen terme. ». Au niveau européen, France urbaine a également présenté huit propositions pour assouplir le cadre de la commande publique lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, dont une sur l’alimentation : “Prévoir une exception agricole et alimentaire en permettant l’introduction de critères de proximité dans les achats de produits alimentaires, afin de renforcer la résilience des systèmes alimentaires territoriaux de l’Union européenne”. Ces propositions ont notamment fait office de contribution de l’association lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. France urbaine a d’ailleurs récemment échangé à ce sujet avec les réseaux européens Eating City et Eurocities
De telles réflexions ont vocation à alimenter l'agenda européen en prévision des réflexions de 2023 sur la durabilité du système alimentaire de l’Union - auxquelles France urbaine a contribué - et des élections européennes de 2024.