Hébergement d’urgence des enfants : les élus des grandes villes alertent la Première ministre

Plus de 40 élus urbains ont adressé un courrier à Elisabeth Borne pour l’alerter sur la saturation des places d’hébergement dans les villes et l’augmentation du nombre d’enfants à la rue.
Depuis la fin de l’été, de nombreuses collectivités et les services sociaux ont constaté la remise à la rue post-crise sanitaire de Covid-19 de personnes fragiles avec des phénomènes d’errance et d’occupation illégale d’espaces publics. Les publics concernés sont variés : sans-abris ni domicile fixe, jeunes en errance, toxicomanes, personnes en sortie de soins psychiatriques mais aussi et surtout migrants, familles avec enfants ni expulsables ni régularisables, réfugiés au statut en cours d’instruction ou à droits incomplets.
Tirer la sonnette d’alarme
Plusieurs maires de grandes villes, tels que Grégory Doucet, Jeanne Barseghian, Nathalie Appéré ou Olivier Bianchi, des parlementaires et associations d’aide comme la Fondation Abbé Pierre et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ont tiré la sonnette d’alarme à la rentrée de septembre 2022, en interpellant le gouvernement et l’opinion sur la réduction prévue dans le projet de loi de finances pour 2023 de 14 000 places d’hébergement d’urgence. Une réduction de places qui s’ajoutait aux 14 000 places déjà supprimées avec la loi de finances 2022.
Face à l’inertie du gouvernement, ces mêmes maires de grandes villes, auxquels s’est jointe Johanna Rolland, Maire de Nantes et président de Nantes Métropole, ont écrit à la Première ministre Elisabeth Borne à la fin du mois d’octobre, laquelle a finalement renoncé début novembre à la suppression des 14 000 places d’hébergement d’urgence dans le budget 2023. La situation reste cependant loin d’être réglée sur le terrain, avec un nombre encore significatif d’enfants à la rue avec leurs familles, alors que la trêve hivernale fixée au 1er novembre suppose de mettre, de manière inconditionnelle, toute personne à l’abri et que la France est, par ailleurs, signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Les places d’hébergement saturées
Le 15 novembre 2022, à l'initiative de la Présidente de France urbaine Johanna Rolland et de manière transpartisane, plus de quarante maires de grandes villes et présidents d’agglomérations et métropoles, réunis au sein de France urbaine, ont adressé un courrier à la Première ministre Elisabeth Borne pour l’alerter sur la saturation des places d’hébergement dans les villes et l’augmentation du nombre d’enfants à la rue.
Les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles prennent acte de l’engagement pris par le gouvernement par la voix des ministres de ne « plus avoir aucun enfant à la rue cet hiver » et d’organiser toutes les semaines une réunion de suivi pour atteindre cet objectif. Ils ont également relevé avec satisfaction la décision prise par le gouvernement de ne pas supprimer les 14 000 places d’hébergement d’urgence, tel qu’il était prévu initialement dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
Malgré ces annonces, les maires de grandes villes et présidents d’agglomérations et métropoles restent très inquiets face à la situation d’enfants parfois très jeunes, pour une part scolarisés dans les écoles et leurs familles dormant encore dans la rue ou dans des squats insalubres et dégradés. Ils constatent des dispositifs d’hébergement d’urgence saturés sur leurs territoires. Malgré le 115, les nuitées hôtelières et les dispositifs d’hébergement proposés par les collectivités et associations de solidarité à leur charge, le sujet reste particulièrement prégnant et l’approche de l’hiver commande de s’engager avec détermination pour garantir la dignité des personnes, au-delà des débats partisans ou idéologiques.
Le maintien à la rue d’enfants est insoutenable. Les maires des grandes villes et présidents d’agglomérations et métropoles appellent à ce que l’État prenne des mesures en urgence pour la mise à l’abri spécifique de ces enfants et de ces familles.
Que demande France urbaine ?
Les grandes villes, agglomérations et métropoles sont directement concernées par l’accueil sur leur territoire des réfugiés et migrants : nombre d’entre elles ont, depuis 2018, contractualisé avec l’Etat et la délégation interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés (DIAIR). Les élus de France urbaine en appellent à l’anticipation, au dialogue, aux échanges réguliers et à la confiance réciproque. Ils demandent de :
- Clarifier les compétences respectives de l’Etat et des collectivités sur la question de l’hébergement d’urgence : la compétence « hébergement d’urgence » relève de l’Etat. Faute de réponses adaptées, il revient souvent dans l’urgence et l’improvisation aux collectivités et associations de se substituer à lui, en mettant à disposition des gymnases ou des lieux dédiés à l’accueil des publics. Ce fut le cas en 2015 au moment des crises syrienne et irakienne et plus récemment en Afghanistan, avec la prise de Kaboul par les talibans en août 2021. La régulation approximative des flux migratoires à l’échelle européenne fait peser de lourdes charges aux budgets des collectivités, rarement remboursées par l’Etat.
- Favoriser l’accès à l’emploi des réfugiés et demandeurs d’asile avec une offre de formations linguistiques de qualité et structurée à l’échelle des territoires : dix-huit mois à deux ans, c’est le délai moyen de traitement des demandes d’asile aujourd’hui en France. Pour celles et ceux qui sont appelés à demeurer de manière régulière et durable sur le territoire, France urbaine propose de favoriser l’accès à l’emploi des réfugiés et demandeurs d’asile avec une offre de formations linguistiques de qualité et structurée à l’échelle des territoires, en réduisant encore davantage le délai avant que le demandeur d’asile puisse travailler.
- Faire vivre « l’Alliance des territoires » en matière d’accueil des réfugiés : la répartition équilibrée des réfugiés et migrants à l’échelle du territoire est indispensable face au manque de vision prospective de l’Etat. Les grandes villes, agglomérations et métropoles ne peuvent faire face seules aux phénomènes migratoires à répétition que les crises géopolitiques et climatiques risquent d’entraîner dans les prochaines années. Il revient de faire vivre une « Alliance des territoires » également dans ce domaine, en desserrant les flux vers les villes moyennes et le milieu rural, comme ce fut le cas au printemps 2022 pour les familles ukrainiennes.
La co-construction entre l’Etat et les collectivités sur les sujets d’accueil, d’intégration et d’immigration apparait aujourd’hui indispensable, alors que les grandes villes, agglomérations et métropoles sont souvent en première ligne. Les réponses dans l’urgence et l’improvisation ne sont plus acceptables sur le terrain.