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Finances et Fiscalité

Gel de la Dotation globale de fonctionnement : une facture à 3,2 milliards d'euros entre 2018-2022 pour les communes

06/09/2022

La non-indexation de la DGF sur l’inflation et la croissance démographique a représenté une perte nette pour les collectivités, qu’il convient de garder à l’esprit dans les prochains mois.

Le maintien de l’enveloppe faciale de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) pendant le dernier quinquennat est régulièrement brandi, y compris par le gouvernement actuel, comme la preuve d’une certaine déférence à l’égard des collectivités locales. Cependant, si les mémoires restent traumatisées par les baisses de DGF, insensées et inacceptables, imposées lors du quinquennat antérieur, il convient de ne pas idéaliser, par comparaison avec ce passé lugubre, le gel de l’enveloppe de DGF entre 2018 et 2022.

En effet, la croissance démographique et l’inflation sont deux facteurs qui demeurent par définition ignorés en cas de gel de l’enveloppe globale de DGF. Or, si cette réalité pouvait être, sans difficulté majeure, passée sous silence tant que l’indice des prix à la consommation connaissait des évolutions modérées, comme entre 2018 et 2020, le phénomène, brusque et soutenu, de hausse des prix suscité par la crise énergétique et la situation géopolitique depuis la fin 2021 oblige à prendre toute la mesure de la dévaluation que subit en conséquence la DGF. Cette étude vise précisément à mesurer la perte de DGF que la croissance démographique et l’inflation ont fait subir aux communes depuis 2018, en dépit du maintien de l’enveloppe globale effectivement garanti par les gouvernements du dernier quinquennat.

Une hausse nominale de 221 millions d’euros courants

Entre 2018 et 2022, l’enveloppe faciale de DGF des communes de France métropolitaine et des départements d’Outre-mer (34 955 communes en 2022, auxquels ont été soustraits les 6 villages martyrs de la Première guerre mondiale, qui reçoivent une DGF mais ne comptent pas d’habitants) et des communes des Collectivités d’Outre-mer concernées (86 communes en 2022, à Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie) est passée de 11,8 à 12 milliards d’euros courants, soit une hausse nominale de 221 millions d’euros. Cumulés depuis 2018, ces abondements s’élèvent à 505 millions d’euros.

Si cette augmentation en valeur peut sembler contradictoire avec le gel de la DGF, elle s’explique par les flux entre niveaux de collectivités qui interviennent lors du financement des besoins internes de la DGF. Concrètement, le financement des augmentations de certaines composantes de la DGF (dynamique de population de la dotation forfaitaire, croissance de la DSU et de la DSR, etc.) doit nécessairement se faire au moyen d’une diminution d’autres composantes, à savoir la dotation forfaitaire des communes et la dotation de compensation des EPCI.

Depuis plusieurs années, le Comité des finances locales (CFL), décisionnaire en la matière, répartit la charge de ce financement à 60 % pour les communes et 40 % pour les EPCI mais, étant donné que le bénéfice de ces besoins internes ne se répartit pas selon les mêmes proportions, cela entraîne un transfert de DGF des EPCI aux communes, expliquant de fait la hausse de l’enveloppe faciale de DGF des communes entre 2018 et 2022.  

Une baisse réelle de 1,49 milliard en euros constants et à population égale

Dès la fin de l’année 2018, les 11,8 Md d’euros votés un an auparavant, en loi de finances initiale (LFI) pour 2018, ne valaient plus que 11,6 Md d’euros, en raison d’une inflation sur l’année 2018 à hauteur de 1,6 %. En 2019, si l’enveloppe de DGF des communes votée en LFI gagnait, à l’issue des arbitrages du CFL, 37 millions d’euros courants, soit une augmentation de 0,3%, il faut garder à l’esprit le fait qu’elle se répartissait sur une population en croissance de 141 938 individus, soit une augmentation de 0,2 %. Considérant en outre l’inflation sur l’année 2019, à hauteur de 1,5 %, la DGF réelle des communes, c’est-à-dire, en euros constants et à population égale, s’élevait à 11,4 Md d’euros, soit un décalage de 416 millions d’euros vis-à-vis de l’enveloppe faciale de 11,8 Md d’euros.

En appliquant la même méthode jusqu’à la fin de la période étudiée (décembre 2022) et si l’hypothèse d’une inflation annuelle estimée à 6,8 % en 2022 est correcte, la DGF des communes ne représentera donc plus que 10,5 Md d’euros en 2022, en euros constants et à population égale (par rapport à 2018), soit nettement moins que les 12 Md d’euros affichés. Autrement dit, l’augmentation en valeur qui porte la DGF des communes de 11,8 à 12 Md d’euros courants entre 2018 et 2022 ne permet pas de compenser la hausse des prix et la croissance démographique intervenues sur la période, qui provoquent une dévaluation, toutes composantes confondues, à hauteur de 1,49 Md d’euros en 2022. Cumulées depuis 2018, ces pertes provoquées par le gel de la DGF s’élèvent à 3,2 Mds d’euros.
 

 

 
Lecture : entre 2021 et 2022, en euros constants et à population égale (base 2018), les montants de dotation nationale de péréquation passent de 696 à 647 millions d’euros. En 2018, la non-prise en compte de l’inflation dans l’enveloppe globale de DGF se traduit par une dévaluation, toutes composantes confondues, à hauteur de 186 millions d’euros.

Outre les considérations sur l’enveloppe globale de DGF, l’analyse par le biais de ses composantes se révèle également intéressante. L’on peut par exemple constater que les augmentations de dotation de solidarité urbaine (DSU), de dotation de solidarité rurale (DSR) et de dotation d’aménagement des communes d’Outre-mer (DACOM), votées par le Parlement chaque année depuis la LFI 2018, font plus que compenser la hausse des prix et la croissance démographique que connaissent leurs communes bénéficiaires, jusqu’en 2021. En 2022, en dépit des 95 millions d’augmentation respective de la DSU et de la DSR, les montants totaux de ces dotations sont en baisse, en euros constants et à population égale, en raison de la forte inflation.

En outre, il est primordial de garder à l’esprit que l’érosion de la Dotation forfaitaire, en euros constants et à population égale (de 7,2 Md d’euros en 2018 à 5,9 Md d’euros en 2022), n’est pas le seul fait de l’inflation et de la croissance démographique, mais également du financement des besoins internes de la DGF. A cet égard, l’enveloppe de la dotation nationale de péréquation, qui est restée facialement identique depuis 2018, sert de dotation-témoin pour prendre conscience de la dévaluation produite du fait de la hausse des prix et la croissance de la population.

Les territoires urbains plus affectés

Le gel de l’enveloppe globale de DGF, qui subit donc la fonte causée par l’inflation et la croissance démographique, masque en outre les mouvements réels que connaissent, d’une part, ses composantes (DSU, DSR, DACOM, Dotation forfaitaire) et, d’autre part, les allocations individuelles des communes qui, selon des critères socio-démographiques, financiers ou d’aménagement (longueur de voirie, nombre de logements sociaux) voient leur DGF évoluer, parfois fortement, d’une année sur l’autre.

Ainsi, entre 2018 et 2022, la DGF nominale des 51 grandes villes membres de France urbaine est passée de 1 991 à 1 977 millions d’euros courants. De même, la DGF nominale des 2 191 communes membres des grands EPCI adhérents à France urbaine (autres que les grandes villes-centre) est passée de 2 228 à 2 210 millions d’euros. A l’inverse, les 32 793 communes françaises non représentées à France urbaine ont vu leur DGF nominale passer de 7 575 à 7 831 millions d’euros courants. En d’autres termes, cette catégorie de communes a récupéré les diminutions intervenues sur les deux premières catégories mais également bénéficié de la totalité de l’augmentation de 221 millions de la DGF nominale des communes intervenue en dépit du gel de la DGF, grâce à la ponction réalisée sur la dotation de compensation des EPCI (cf supra).
 

En euros constants et à population égale sur la période, en revanche, les trois catégories de communes voient leur DGF baisser, quoiqu’inégalement, entre 2018 et 2022, à hauteur de 13 % pour les grandes villes (- 246 M€), 14 % pour les communes des grands EPCI (- 301 M€) et 9 % pour les autres communes (- 948 M€). Cumulées sur la période, ces baisses représentent respectivement 513 M€, 670 M€ et 2 060 M€ (pour un total de 3,2 Md €).

Naturellement, il est nécessaire de souligner que la moitié de l’impact subi par les communes entre 2018 et 2022 en raison du gel de l’enveloppe globale de DGF s’est produit sur la seule année 2022, du fait de la forte inflation causée par les perturbations de l’économie mondiale. Cette réalité se suffit à elle seule pour comprendre que, dès lors que les perspectives de retour à une inflation proche de zéro s’éloignent, il devient difficilement tenable de perpétuer le gel de la DGF sans que cela produise des répercussions budgétaires majeures pour les collectivités locales.