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Alain Fontaine : « Les dark stores et les dark kitchens menacent notre art de vivre »

21/09/2022

Alain Fontaine, Président de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs, a accordé un entretien à France urbaine HEBDO.

FRANCE URBAINE : Quel bilan tirez-vous de la période estivale pour le secteur de la restauration ?
 
ALAIN FONTAINE : Le bilan est très positif. Les chiffres d’affaires sont supérieurs à 2019 pour la très grande majorité des restaurateurs. On a observé une très forte fréquentation touristique malgré l’absence des touristes asiatiques. Allemands, espagnols, italiens, hollandais, américains… ils sont venus en nombre. Les Français ont également grandement participé à cette belle saison en partant massivement en vacances mais en restant en France, notamment pour des raisons de pouvoir d’achat. Les gens avaient besoin de souffler, de s’évader après deux ans de crise sanitaire. La France a fait des efforts pour soutenir le tourisme de proximité et convaincre les Français de rester en France pour visiter les villes, les villages, les stations balnéaires et de montagne. Cela nous a aidé. Pour autant, nous avons observé une croissance plus faible dans la restauration des grandes et moyennes villes que dans la restauration des petites villes ou près de la mer. La restauration parisienne a sauvé sa saison grâce aux touristes. Les services du soir ont également mieux fonctionné que les services du midi à cause des vagues de canicule successives. L’inflation et les problèmes de recrutement nous font craindre une fin d’année plus difficile, notamment en province.
 

« L’inflation et les problèmes de recrutement nous font craindre une fin d’année plus difficile. » Alain Fontaine

Depuis deux ans, la livraison rapide et les dark kitchens se développent fortement dans les grandes villes françaises et européennes. France urbaine appelle à donner plus de moyens aux maires pour les réguler. Quelle est votre position ?

A.F : Je partage la demande de France urbaine. L’Association Française des Maîtres Restaurateurs (AFMR) s’est fortement mobilisée, dès la loi Egalim 2, pour que les dark kitchens soient soumises aux règles de transparence notamment sur la provenance de la viande bovine. Nous respectons la liberté d’entreprendre mais pas selon n’importe quelles règles. Ne reproduisons pas les erreurs du passé lorsque les fast food sont arrivés dans nos villes ! Ce sont aujourd’hui des restaurants. L’AFMR voit d’un très bon œil la régulation par les maires des dark stores et dark kitchens. Les réguler, c’est assurer la vitalité des centres-villes, protéger les restaurateurs de proximité, prévenir les risques sanitaires vis-à-vis des consommateurs, assurer la tranquillité des riverains et c’est lutter contre la précarité économique des livreurs. Les dark stores et les dark kitchens, qui sont aussi un non-sens écologique, menacent notre art de vivre, le vivre-ensemble et le dynamisme de nos villes. Il faut maintenant convaincre les consommateurs que faire vivre le commerce de proximité ne coûte pas plus cher que de se faire livrer des repas.
 

« Nous respectons la liberté d’entreprendre mais pas selon n’importe quelles règles. » Alain Fontaine

Les villes misent de plus en plus sur les produits locaux et respectueux de l’environnement, notamment dans les cantines scolaires. Comment aller plus loin ?
 
A.F : La proximité est l’ADN de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs. Dans les grandes villes, le nombre d’enfants et de personnels à nourrir est très important et la production locale ne suffit pas toujours. Il ne faut pas mentir aux parents d’élèves. Nous sommes face à deux problèmes : les quantités et la saisonnalité. Il faut d’abord réinstaller des cuisiniers qui font la cuisine sur place. Je suis conscient que c’est un coût financier, humain et logistique pour les collectivités. Il faut faire les choses étape par étape. Il faut miser au minimum sur une restauration raisonnable, à base de produits frais, bruts et d’origine française et il faut arrêter avec le système des cuisines centrales et des liaisons chaudes. Remettons de l’humain dans nos cuisines. Après, on peut aller plus loin en misant sur le bio et in fine, essayer de faire de la cuisine de proximité. La réflexion doit prendre en compte la santé des enfants et l’impact carbone. Il faut être pragmatique, raisonnable et efficace.


crédit photo : Association Française des Maîtres-Restaurateurs